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Marie Lacord, institutrice
5 avril 2012

HISTOIRES VRAIES RACONTÉES PAR MARIE LACORD

 

mancot-5-villecresnes Quatre générations à l'aiguille

"Je suis une vieille grand mère de deux petites filles et une arrière grand mère aussi de 93 ans ( en 1983). J’ai été institutrice à l’âge de 20 ans à ma sortie de l’École normale où j’avais été pensionnaire pendant trois ans, à Agen de 1902 à 1905."

MARIE TAILLEFER DOIT SA VOCATION ET SON MÉTIER À SON INSTITUTRICE DU FAU (village près de Montauban, Tarn et Garonne)

"Je suis sortie d’une école de campagne à classe unique dirigée par une maîtresse des premières institutrices laïques de la loi de 1882 rendant l’instruction primaire  gratuite, obligatoire et laïque, appelée loi Jules Ferry. Elle était admirable, se dépensant sans compter son temps et ménager sa peine et elle est restée  pendant toute sa carrière dans notre village du Fau de 1883 à 1920.  Elle m’a présentée au Certificat d’études primaires, puis Concours des bourses.  Reçue aux deux examens, je suis allée en pension à l’école primaire supérieure de Moissac, préparer les concours d’entrée de l’École normale."

CONCOURS DES BOURSES, ÉCOLE SUPÉRIEURE DE MOISSAC, ADMISE À L'ÉCOLE NORMALE D'AGEN, PUIS PREMIER POSTE À MONTECH JUSQU'EN 1910.

 

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1 - La petite Marguerite Ambroisi  ( Montech, Tarn et Garonne)

J’ai été nommée à Montech à 12 kilomètres de Montauban dans un chef lieu de canton, un beau village de plaine traversé par une branche du canal latéral à la Garonne.

L’école avait quatre classes, moi j’étais chargée du Cours élémentaire deuxième année et du Cours moyen 1ère année. Mes petites élèves étaient gentilles, assez obéissantes et j’étais satisfaite de leurs progrés. Une d’elles, quoique bonne élève, paraissait farouche, souvent boudeuse et ne jouait guère avec les autres pendant les récréations. Elle s’appelait Marguerite Ambroisi. Elle était brune, ses cheveux chatain foncé, retombaient en mèches sur ses épaules, elle paraissait maigre et frêle sous son tablier noir.. Un jour elle n’est pas venue en classe. J’ai demandé :”Savez-vous pourquoi Marguerite n’est pas venue en classe ?” Une de ses compagnes m’a réponbdu - “Mademoiselle, elle est en prison avec sa grand mère!” J’étais stupéfaite. - “C’est bien vrai ce que tu me dis ? J’ai de la peine à le croire.” – “Si Mademoiselle je l’ai vue partir hier soir.”

Je me suis rendue le soir même dans la rue où habitait Marguerite Ambroisi, et j’ai vu leur pauvre petite maison. Une voisine m’ a fait entrer chez elle et m’a expliqué ce qui me paraissait incroyable.: “ Que voulez-vous, la mère Ambroisi est très pauvre et elle est bien âgée pour travailler. Elle s’est chargée de sa petite fille Marguerite, qui n’a plus ses parents, ils sont morts tous les deux. Pour se chauffer en hiver, elle a le droit d’aller chercher du bois mort dans la forêt. Quand il fait beau, elle prend sa brouette et elle va dans la forêt avec Marguerite. Cela fait 4 km à pieds tout de même!  Quand elle trouve assez de bois mort pour remplir sa brouettte, c’est parfait. Mais souvent,  elle n’en a pas beaucoup, alors elle prend sa cognée et abat un jeune arbre, qu’elle coupe en morceaux et qu’elle cache sous le bois mort. Cela est formellement défendu, il faut protéger la forêt et laisser pousser les jeunes arbres. Si elle rencontre un garde forestier, il a le devoir de lui dresser  un procès verbal, mais comme elle ne peut pas payer l’amende elle va en prison; et comme elle ne peut pas laisser sa petite fille toute seule, elle l’a prend avec elle.

Je suis rentrée toute pensive et attristée. 

Quand j’ai appris le retour de la grand mère, je suis allée la voir et nous avons causé.: “Celà ne vous fait pas de la peine d’aller en prison avec Marguerite ? – Non, m’a-t-elle répondu, Je suis contente de la prendre avec moi au contraire. Nous sommes nourries, nous avons chaud. Seulement voilà, après l’âge de sept ans, je ne pourrai plus la prendre en prison, je ne sais pas qui me la gardera.- Vous tacherez de ne plus vous faire mettre en prison, lui ai-je répondu – Eh oui, j’essaierai, mais il faut bien se chauffer en hiver et je ne peux pas acheter de bois.”

J’ai quitté mes chères élèves en 1910 pour me marier et bien des événements se sont passés. Hélas il y a eu la terrible guerre de 1914-1918. En 1920, j’ai été nommée dans un petit village très agréable. Je l’avais demandé car il y avait aussi un poste de secrétaire de mairie que pouvait prendre mon mari à son retour de la guerre, fatigué et amputé de la main droite. 

Un soir d’été, j’ai vu arriver une charmante jeune fille qui s’est approchée et m’a dit  en souriant: “Vous ne me reconnaissez pas ? moi je vous ai reconnue tout de suite, je suis Marguerite Ambroisi. – Oh que je suis contente de vous revoir. Et où habitez-vous ? – Je suis au château de la famille de Cruzy, je suis femme de chambre des demoiselles. – Et où as-tu appris à coudre et repasser ? – Ma grand-mère est morte quand j’avais dix ans. Je suis entrée à l’orphelinat de Montech et je sais très bien travailler."

Depuis, j’ai appris qu’elle s’était mariée et qu’elle vivait à Montech avec ses enfants et ses petits enfants. Si elle est encore en vie, elle doit avoir 80 ans.. J’espère qu’elle est plus heureuse que ne l’était sa pauvre grand mère.

2 - Jeanne d’Arc et le candidat. (Loubéjac 1930)

Vers 1930, je faisais partie de la commission d’examen du Certificat d’études primaires dans un chef lieu de canton qui s’appelait Molières. Un grand garçon se présente pour être interrogé à l’oral d’Histoire. Je lui ai dit: "Raconte moi la vie de Jeanne d’Arc. “ Avec beaucoup d’assurance, il m’a raconté son enfance à Domrémy où elle était née en 1412, lorsque la France était occupée presque toute entière par les Anglais, son départ avec le seigneur de Baudricourt. Il m’a raconté ensuite qu’elle était allée trouver le roi Charles VII à Chinon, qui lui avait confié une armée pour délivrer Orléans, 1429. Enfin, il n’a pas oublié qu’elle a été fait prisonnière par les Bourguignons qui l’avaient livrée aux Anglais et qu’elle mourut sur le bucher le 30 mai 1431 à Rouen. Je l’ai félicité, puis je lui ai dit:”C’est très bien, tu auras une très bonne note; mais puisque tu connais si bien la vie de Jeanne d’Arc et sa mort, dis-moi si tu sais qu’elles ont été ses dernières paroles sur le bucher, si tu ne le sais pas tant pis, cela ne changera rien à ta note. “Mon candidat paru surpris, embarassé, certainement il ne savait pas que Jeanne d’arc avant  de mourir  avait dit qu’elle pardonnait à ses ennemis, à tous ceux qui l’avaient fait souffrir. Alors il a répondu: Elle a dit, elle a dit,.. je crois qu’elle a dit, Faisez-moi des-cendre.

 

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3 - Lucie Bigouret - Cirque Breton (Moissac 1902)

J’ai connu aussi comme pensionnaire à l’école primaire supérieure de Moissac où j’ai préparé le concours de l’École normale, une fillette de 11 ans, Lucie Bigouret dont les parents étaient propriétaires d’un cirque: le cirque Breton. Pendant le séjour de ses parents dans la ville elle dressait de petits lionceaux allaités par une chienne et les promenait souvent sur la place des Recollets. Le cirque se trouvant à Pau pendant les vacances de Pâques, elle est allée y passer ses vacances. Quand elle est revenue elle pleurait à chaudes larmes.

“Qu’as-tu Lucie” lui avons-nous demandé. - Oh! Dit-elle en sanglotant, il nous est arrivé un grand malheur. Nous avions deux tigres, Sultan et César, ils s'aimeient beaucoup, ils ne se disputaient jamais. Je ne sais pas pourquoi dimanche soir Sultan a battu César et l’a tué. C’est une énorme perte pour nous. Mais Sultan depuis ne veut plus manger, il regrette  d’avoir tué son frère et il verse des larmes grosses comme ça. Nous avons peur qu’il meure aussi." Quelques jours après Lucie a reçu une letre de ses parents. Sultan était mort de remord.

4 - Blanche Steeg – Cirque Camelli (Moissac)

J’ai eu aussi une élève d’un cirque, Blanche Steeg. Elle était dans ma classe à 8 ans, 9 ans, 10 ans. Le cirque hibernait à Moissac en hiver et j’avais Blanche dans ma classe, mais l’après midi seulement.  Sa grand mère l’accompagnait. Je me plaignais parce qu’elle ne venait jamais le matin. “Mais elle travaille, me dit sa grand mère, elle fait travailler les singes. Puis on lui fait subir des transformations pour qu’elle puisse aller sur la piste, plus tard…

- Ah et lesquelles?

- On lui déforme la tête pour qu’elle puisse traverser  le cercle de feu. On la désarticule pour qu’elle puisse aller sur le trapèze Volant.

Malgré toute ma bonne volonté, à la fin du troisième hiver, Blanchette savait juste lire, écrire et compter un peu.

Ce sont les voitures du cirque qui ont sauvé beaucoup de Moissagais pendant l’inondation de 1930.

5 - Le professeur Lacassagne (Moissac 1901-1902)

Je suis sortie d’une école de campagne à classe unique dirigée par une maîtresse des premières institutrices laïques de la loi de 1882 rendant l’instruction primaire gratuite, obligatoire et laïque, appelée loi Jules Ferry. Elle était admirable, se dépensant sans compter son temps et ménager sa peine et elle est restée  pendant toute sa carrière dans notre village du Fau de 1883 à 1920. Elle m’a présentée au Certificat d’études primaries, puis Concours des bourses.  Reçue aux deux examens, je suis allée en pension à l’école primaire supérieure de Moissac, préparer les concours d’entrée de l’École normale. J’ai eu du mal à m’habituer à tant de professeurs! Nous en avions un très bizarre. Il s’appelait Monsieur Lacassagne, grand, brun, l’air sévère. C’était notre professeur de mathématiques. Il nous appelait au tableau en nous regardant à tour de rôle, puis en tournant le bout de son nez avec son index il disait: “Allez au tableau Mademoiselle, s’il vous plait, pour la leçon …   Taillefer (c’était moi) ou Villemur, ou Nadal… Écrivez plus haut… encore plus haut…  encore plus haut… quand on était au bout du tableau, il s’écriait .” Vous n’avez pas compris que je voulais dire plus bas? “ Et on écrivait plus bas.

Un autre jour, comme on avait fait un peu de bruit avec nos plumiers, il nous a dit: “Portez moi toutes ces malles sur la galerie” A la queue-leu-leu nous nous exécutons et nous reprenons nos places. Alors il nous dit :”Écrivez en retourné

- Monsieur nous navons pas nos porte-plumes”

- Imbéciles, vous ne pouviez pas les garder!

Et nous voilà reparties sur la galerie chercher nos porte-plumes. Malgré celà, il nous faisait de très bonnes leçons.

Un jour, j’étais alors en 3eme année, toute la classe avait raté un problème, un des fameux problèmes de couriers. Notre professeur était furieux. "Un problème si facile, vous êtes des idiotes, vous serez toutes collées et ce sera  bien fait!

-  Il n’était pas si facile, ai-je répondu.

-  Mais si, je suis sûr que mon dernier fils Yvan qui a cinq ans l’aurait fait juste.

-  Eh bien Monsieur, cela prouve qu’il est très intelligent. En ferez vous un professeur comme vous ?”

Il a bondi de sa chaise “En faire un professeur, intelligent comme il est, pour tirer le diable par la queue comme moi ! Jamais de la vie. S’il m’écoute, j’en ferai un chiffonier.”

Nous avons eu toutes le fourire.. A notre époque, les chiffoniers trainant la savate parcouraient les villes et les campagnes à pied ou avec un cheval ou un âne, mal vêtus et ils criaient: “ Peaux de lapins, peaux, y a t il des os, de la plume, des vieux chiffons à vendre ?” Il n’y avait alors ni bicyclettes, ni autos. Pauvre Yvan, si gentil, chiffonier ? Nous ne pouvions nous empêcher de rire. “Riez-bien nous dit Monsieur Lacassagne, j’espère qu’il suivra mes conseils.”

Bien des années passèrent, bien des malheurs et quelques joies. À la fin de ma carrière en 1933, j’ai eu le Bonheur d’être nommée au Carreyrat, à 4km de Montauban. Ma soeur et mon beaufrère, un excellent homme, y était forgeron. Tous les samedis, il allait au marché de Montauban vendre ses herses et ses charrues. Un samedi, parti à vélo, il est revenu avec le petit train, un genou abîmé, un pansement au front.

“Que t’es-t-il arrive mon pauvre Benoit ?

-  J’ai été heurté par une auto qui m’a renversé et je suis un peu écorché.

-  Et qui t’a renversé?

-  Oh! un Monsieur très gentil! Il m’a dit “Je ne sais pas qui de nous deux est en tort; nous allons arranger ça pour le mieux”. Il m’a conduit à la pharmacie où on m’a soigné, il a amené mon vélo dans un garage et il m’a dit “Vous m’enverrez la note de tout cela et je vous enverrai un chèque.” Comme je lui avais dit que mon fils était prisonnier en Allemagne, il m’a dit: “Je vous enverrai un beau cadeau pour lui.” De fait il lui a fait parvenir un beau sac de couchage. Tiens j’ai sa carte..”

Sur cette carte , j’ai pu lire Yvan Lacassagne, plumes et duvets, place de la Patte d’Oie  Toulouse. J’étais ahurie. Ce n’est pas possible… quel âge a-t-il à peu près ?

-  Entre 40 et 45 ans , il est grand, brun"

C’était peut être lui.. Je lui ai écrit pour le remercier au nom de mon beau frère, lui demandant s’il n’était pas le fils de mon ancien professeur

-  Voyez comme le monde est petit m’a –t-il répondu, je suis en effet le fils de ce professeur. Mon père est mort, mais je suis content que vous ayez gardé un bon souvenir de lui.

Yvon Lacassagne était devenu l’un des plus gros commerçants de Toulouse. Son fils lui a succédé et il préside la Chambre de Commerce de Toulouse. Sa fille s’occupe aussi des expositions  commerciales.

Si tu ne le crois pas ma chère Béatrice , toi qui aimes les preuves, voilà cet article de presse que j’ai gardé. Encore l’an dernier, c’était son fils Jacques Lacassagne qui a ouvert la Grande foire de Toulouse  dont il est le Président Directeur général.

6 - La Petite fille dans le placard (Montech 1906 - 07)

A l’école de Montech où je dirigeais la 2eme classe (CM1 et CE2), il y avait une petite classe du Cours préparatoire. La maîtresse était ma grande amie et nos salles de classe se touchaient. Elle était patiente et aimait beaucoup ses petites élèves. Elle s’appelait Fernande Coustou. Une de ses élèves, Jeanne Richasse, 6 ans était très remuante, bavarde et taquine. Je la vois encore avec ses belles joues roses, son sourire malicieux, ses yeux rieurs, sa belle chevelure toute frisée. Elle allait souvent au piquet. ( debout contre le mur, le dos tourné). Un jour, elle tira si fort les cheveux de sa voisine Martine que celle-ci se mit à hurler. Fernande à bout de patience, la menaça de l’enfermer dans le placard.  Il faut vous dire que notre école, qui n’a pas changé depuis lors (1905)  était une ancienne maison bourgeoise. Les salons, la salle à manger étaient devenus des salles de classe. Celle des petits était l’ancien office c’est à dire la salle des provisions et il y avait de grands placards qu’on avait conservés et qui servaient de débarras (Il y avait des balais, de vieux livres, etc…) Ils étaient hauts et étroits  avec une place libre dans le bas. Donc, Fernande continue sa classe. Elle se retourne brusquement et voit Jeanne Richasse qui lui tirait la langue et faisait rire toutes ses compagnes.  C’était trop fort. Fernande prend la petite par le bras, la traîne dans le placard, pousse la targette. Il était à peu près 10 heures du matin et on sortait alors à 11 heures pour rentrer à 13 heures.  La classe se termine plus silencieuse et à 11 heures tout le monde sort. Personne n’a pensé à la petite fille enfermée dans le placard! À 13 heures, mon amie regarde la place vide et demande: “Tiens, Jeanne Richasse n’est pas là!”Mais mademoiselle, dit une petite fille, elle doit être encore dans le placard;” Fernande est devenue pâle et tremblante., elle a couru dans ma classe affolée: : “Marie venez vite me dit-elle, je vais m’évanouir.. J’ai enfermé Jeanne Richasse dans le placard à 10h30 et je l’y ai oubliée.. Il n’y a pas d’air là-dedans, elle est peut être morte , venez avec moi.” J’arrive toute troublée, je frappe à la porte, personne ne répond.. En tremblant, je pousse la targette et la porte s’ouvre…. Jeannette était assise au fond du placard, le dos au mur et elle se frottait les yeux.. Quelle joie! Quelle délivrance ! Elle s’était endormie tout simplement.

- "J’ai faim". C’était vrai qu’elle n’avait pas mangé. Les deux autres maîtresses sont arrivées, l’une lui a donné des gateaux, l’autre des bonbons, du lait, du chocolat. Ses compagnes étaient contentes de la revoir. C’était vraiment l’héroïne du jour. Le soir Fernande et moi nous l’avons ramenée chez ses parents qui lui ont fait promettre d’être plus sage à l’avenir. J’ai su qu’elle avait épousé plus tard à 20 ans le directeur de la papeterie de Montech et que tout le monde l’aimait bien.

7 La noce du cousin Eugene (Montech 1906-07)

Après ma sortie de l’École normale d’Agen, j’ai été nommée adjointe à l’école laïque de Montech. C’est un agréable chef lieu de canton, situé à 12 km de Montauban sur un embranchement du canal latéral à la Garonne.. Nous étions trois adjointes qui nous entendions très bien, mais la directrice était très sévère.. Mes parents habitaient de l’autre côté de Montauban, dans le petit village du Fau à 7 km de Montauban. Je me trouvai donc assez éloignée d’eux, à 20 kilomètres environ…

Mes enfants, cela vous fait sourire, mais c’était cependant assez compliqué: à Montech on pouvait prendre la diligence et son cheval nous conduisait à la gare de Montech où le train s’arrêtait à la gare de Montauban. Mais pour aller de Montauban au Fau, il fallait un cheval et une voiture. Mes parents en avaient, mais ils étaient si occupés.: l’épicerie, le café, le bureau de tabac et 3 hectares de terre à travailler. Je ne pouvais pas toujours leur demander de venir me chercher et je n’allais chez moi que pour les vacances d’assez longue durée.

Vous pensez avec quelle joie, j’ai vu arriver les premières bicyclettes et combien j’enviais les premiers jeunes gens qui ont eu le courage de s’aventurer sur ces engins! Parmi ceux-là il y avait mon cousin Jean Philibert, un cousin germain qui avait quatre ans de moins que moi, presque mon petit frère car mon oncle et ma tante étaient nos plus proches voisins et nous étions toujours ensemble dans notre enfance. Très gâté, il avait été un des premiers au village à posséder une bicyclette et il émerveillait tout le village par ses randonnées. Un jour il me dit:” Mais on fait maintenant des bicyclettes pour les femmes, tu devrais en acheter une, je t’enseignerai à y monter.” J’avais quelques économies, j’ai attendu quelques mois en me serrant la ceinture, me contentant d’oeufs et de sardines à l’huile le plus souvent; et aux grandes vacances, j’avais mon vélo.  Quelle joie de parcourir les routes, d’aller où l’on voulait, de respirer du bon air!  Pas d’auto biensûr, puisqu’elles n’existaient pas! Un cheval à l’horizon, on avait le temps de se garer! On se protégeait comme on pouvait de la pluie, du vent, des orages; on faisait quelques chutes, tant pis! Le mercredi soir, le samedi soir, avec mon amie Fernande qui habitait Montauban, nous partions. Je couchais souvent chez elle, au départ ou à l’arrivée et j’allais au Fau sur mon vélo, toute heureuse de revoir mon village, mes parents, mes deux soeurs, mes amis! Vous ne pouvez pas comprendre ce qu’a été pour nous, malgré souvent quelques petits ennuis, l’invention du vélo !

Nous avions des cousins qui habitaient à St Maffre, près de Bruniquel.  C’était une très jeune soeur de ma grand mère maternelle qui était allée vivre là comme “bordière” dans une propriété. Nous les aimions beaucoup et nous allions tous les ans à la fête de St-Maffre au mois de septembre. Mon oncle Michel avec mon père attelaient leur cheval. On  partait avant le jour, on arrivait pour se metre à table. Vous pensez, 30 km c’était très loin ! Ils avaient quatre garcons superbes plus âgés que moi, de l’âge de mes soeurs aînées. Les trois premiers s’étaient mariés pendant que j’étais en pension à Moissac ou à Agen, il ne restait que le dernier Eugène, qui s’était fiancé avec une jeune fille de La Bénéche près de Caussade à peu près à 28 km de Montauban. Ma tante Marguerite m’avait promis, celui-là nous le marierons un jeudi, comme celà tu pourras venir à la noce. “

Et en effet, un jour du mois de mai, je reçus de St-Maffre une invitation pour venir à la noce pour un jeudi du mois de mai, quinze jours après. Naturellement mon oncle, ma tante, mon cousin Jean étaient aussi de la noce. Le grand jour arriva; mes soeurs, mon grand père, mon oncle, et ma tante partirent en voiture; mes parents suivirent avec la notre. Mon cousin me dit: “Nous nous partons à vélo et nous arriverons avant eux. Bien sûr!” Nous nous étions donné rendez-vous à Montauban. Nous partons. Quelle joie! Comme il faisait bon! Les oiseaux chantaient dans les buissons tous blancs, les glycines répandaient leurs parfums depuis leurs belles grappes sous les chalets., les troupeaux de vaches paissaient dans les champs, la route était bien sèche, un peu de poussière, mais tant pis! Nous étions jeunes et beaux, mon cousin avait revêtu un beau costume neuf bleu marine, une belle cravatte, une chemise rose. Moi j’étais fière de mes souliers montants jaunes, sur mes bas blancs, de ma jupe beige, de mon corsage blanc et surtout de ma coiffure: une belle charlotte toute neuve en broderie anglaise blanche. Sur le côté un bouquet de fleurs des champs, marguerites et coquelicots avec un beau noeud de ruban  bleu. Nous étions superbes!

Sans encombre nous avons traversé Négrepelisse et Bioule et nous arrivons tout fiers à la ferme, avant la messe, pour saluer tout le monde et admirer la mariée dans sa belle toilette blanche. Nos parents sont arrivés une heure plus tard. Il y avait plus de 100 invités! Après la messe, nous nous sommes mis à table. Les tables étaient dressées dehors sous des tentes à cause du soleil qui était très chaud. Nous étions sur le “sol”, l’esplanade de terre battue où on battait le blé  en juillet.. Et tout autour on avait disposé des levées de terre qui devaient servir de sièges pour les danseurs d'un soir et les invités. Le repas fut long, comme vous pouvez le penser, rien n’y manquait, les bouillis, les rôtis de poulets, de pintades, les asperges, les petits pois et les croustades du pays délicieuses. Nous les jeunes, il nous tardait que ce fut fini pour nous dégourdir un peu les jambes.

Cependant, pendant que nous mangions, le ciel s’assombrissait et se couvrait de nuages, la chaleur était lourde, et, comme le soir venait, on sentait venir l’orage. Tout à coup, au moment où la danse allait commencer, un éclair zébra l’air, puis un autre, le tonnerre gronda et une averse diluvienne se mit à tomber. Quel désastre! En hâte sous la pluie, tout le monde rangea la vaisselle, les tentes plièrent sous le poids de l’eau, la nuit était venue, les grandes personnes qui n’avaient pas pu partir, se réfugièrent dans les granges, les étables, chez les voisins, les enfants entassés dans les lits libres de la ferme. Nous les jeunes, nous avons eu pour tout asile un petit hangard, grand comme une de nos chambres. Toute la nuit, il a plu; nous sommes restés là serrés comme des sardines dans une boîte, assis sur des chaises, sans pouvoir rien faire. Nous causions, nous dormions. Je me suis mise à chanter pour nous réveiller; deux de mes compagnons m’ont imités; tout y est passé: nos chants d’école et “Viens Poupoule”, le “Crédo du Paysan”, “Ma Normandie”, “Sous les Roses”, “J’ai tant pleuré pour toi”, “Frou-Frou”, et quand nous nous arrêtions quelqu’un criait “Ané, madoumaiselle, cantary né uneaoutro, aquo nous dérébeillera” Allons, mademoiselle, chantez en une autre, cela nous réveillera”.

Toute la nuit a passé ainsi. Les coqs ont chanté, c’était 5 heures. Alors j’ai dit à mes compagnons: “Il me faut 3 heures pour rentrer à Montech, je vous dis au revoir après la nuit charmante que nous avons passée ensemble". Ils étaient surpris. “Et pourquoi partez-vous? - C’est vendredi, à 8 heures, je dois être à l’école". Ils n’en revenaient pas. Un d’eux a porté mon vélo jusqu’à la route, il pleuvait encore un peu. Toute seule, je ne sais pas où était passé mon cousin. La route était boueuse, à tout moment je descendais de vélo et avec un bout de bois cueilli dans une trace, il fallait enlever la boue qui se logeait sous le garde-boue. Ma pauvre Charlotte ! les fleurs et le ruban bleu pendaient lamentablement et les dents de la broderie anglaise étaient de véritables gouttières. Cependant, je ne rencontrai personne et la route était toute à moi; je pédalai de toutes mes forces. Arrivée au village de Bioule, j’hésitais pour retrouver mon chemin. Je ne voyais personne à qui demander ma route et je me suis réfugiée sous le porche de l’église. Quelle joie ! Au dessus de moi, l’angélus du matin a sonné et le sonneur complaisant m’a indiqué mon chemin et m’a amené chez lui prendre une tasse de café. Je me suis sentie toute réconfortée et j’ai repris ma route sous la pluie qui s’arrêtait parfois, puis recommençait; je suis arrivée ainsi à Montauban. Là, j’ai pensé un instant prendre le train et rentrer avec la diligence de Montbartier. Mais en regardant ma tenue, ma coiffure, la boue qui couvrait mes bas et mes bottines, j’ai pensé que je pouvais rencontrer l’inspecteur dans le train.. et que penserait-il de moi et de la façon dont j’avais passé la nuit ? On ne plaisantait pas à cette époque sur la tenue des institutrices ! J’ai donc repris mon vélo. Encore 12 km et c’était Montech! J’étais fatiguée tout de même. Il ne pleuvait presque plus et j’allais doucement. En traversant la forêt j’ai entendu tout à coup “Eh! Mademoiselle, attention, vous allez verser dans le fossé, vous faites des S”, je sommeillais sur mon vélo et c’était le facteur de Lacourt-St-Pierre qui allait chercher le courier à Montech et qui m’avait reconnue. Nous avons fait la route ensemble.

8 heures sonnaient au clocher de l’église, quand je suis arrivée à l’école qui est en face. Sur le perron, la directrice, madame Médan, et ses deux adjointes en face de leurs élèves rangées, les miennes m’attendaient. J’ai pris ma place et tous les regards se sont tournés vers moi. J’étais fraîche avec ma charlotte parapluie, ma robe souillée, mes chaussures pleines de boue. La directrice m’a regardée et m’a dit: “Vous pouvez aller vous reposer Mademoiselle; pour cette matinée, on s’occupera de vos élèves”. Après l’avoir remerciée, je suis monté dans ma chambre me changer et me nettoyer, puis je me suis occupée de mon pauvre vélo.

Voilà mon aventure. Je n’ai pas égalé Bartoli, ni Fausto Copi, ni Poulidor mais c’est égal, pour moi ce fut un grand exploit et c’est un de mes plus chers souvenirs.

8 - Comment j’ai commencé à apprendre l’importance du téléphone. (Montech 1906-07)

Comme je l’ai dit souvent, j’ai été nommée adjointe à l’école des filles de Montech à ma sortie de l’École Normale d’Agen en 1905. Montech était à l’époque un chef lieu de canton très agréable, à 12 km de Montauban, au confluent de la branche du canal latéral de Montech à Montauban. J’aimais mon métier, mes élèves étaient gentilles et me donnaient beaucoup de satisfactions. Leurs parents travaillaient à la papeterie, alors florissante, ou bien ils étaient commerçants ou propriétaires des environs et la vie y paraissait facile et agréable.

J’avais aussi un autre avantage.. La soeur de mon père et son mari La Marietto et Lou Didou habitaient tout près de Montech, à 4km. Je les aimais beaucoup, ils étaient mon parrain et ma marraine. Elle, toujours en mouvement, petite et toute courbée, très active; lui, perclus de rhumatismes et marchant avec deux cannes, ayant bien marché et courru toute sa vie, servant de piqueur à ses patrons tout en travaillant leurs champs. Ils avaient élevé trois enfants: le dernier, Samuel Mathaly avait été nommé facteur à Caylus et il leur avait laissé sa maison à Lacourt St Pierre qui était assez agréable. Elle avait deux grandes pièces séparées par un couloir qui conduisait au chai et à l’écurie de leur petit cheval et de leur petit âne. Une belle vigne s’étendait de la maison au canal latéral, elle était coupée en son milieu par une belle allée bordée de cerisiers en plein rapport, des cerises napoléon.  Pendant les trois années passées à Montech, j’allais souvent chez eux le mercredi soir et le samedi soir et je rentrais le dimanche soir ou le jeudi soir, soit à pied soit avec le petit cheval conduit par mon oncle. Je corrigeais mes cahiers, je causais avec eux, je cuisinais avec ma tante. Quand il faisait beau, nous allions au bord du canal avec mon oncle, il était gai, malgré ses rhumatismes, il pêchait et il était content de rapporter le soir une bonne friture.

Au printemps, les cerisiers fleurirent, puis les petites cerises apparurent. Samuel nous écrivait quelquefois et ma tante disait: “Languissi d’el, perque l’a noummat ta lenc, per las peyros et lous rocs.” Je m’ennuie de lui, pourquoi l’a t on nommé si loin parmi les pierres et les rochers? – Mon oncle disait: ”Cal prendré patience, lou faran tourna pres prep”. Il faut prendre patience, on le fera venir ici une fois ou l’autre". Quand nos belles cerises murirent, sa femme Jenny robuste et vaillante venait quelquefois nous aider, en prenant la diligence et le train à Caussade, mais il fallait souvent nous en tirer seuls. Je cueillais les plus hautes et eux les plus faciles à atteindre. C’était très agréable.

Un samedi soir, j’arrive chez eux et je trouve ma tante radieuse. Elle me dit en riant:” Sabes! E poterlat a Samuel arvey – Yas parlat ! Es bengut a Montalba – Nou mes y parlat al taliphone -  Et coussi ai fach? 

( Tu sais, j’ai parlé à Samuel aujourd’hui- Et comment as-tu fait ? Il est venu à Montauban ? – Non, mais je lui ai parlé au téléphone – Ah oui ! et comment as-tu fait ?)

Alors elle m’a raconté. Elle était allée chez l’expéditeur se faire payer les cerises.. Elle lui a dit “Adissias Moussu” Mais le marchand causait et lui a fait signe d’attendre. Alors elle lui a dit: “Amé cal parlebès, Moussu, y abia pas digus.” (Avec qui parliez-vous, Monsieur, il n’y a personne ! – Je parlais au téléphone avec un client qui m’a vendu des cerises.)

-  Es aquo qu’appeloun lou taliphono ? “ ( C’est cela qu’on appelle le téléphone ?)

-  Eh oui !

-  Moun fil Samiel dish que l’an à Caylus, a la posto es fatou belou qu’es a la poste d’aquesto oura.” ( Mon fils Samuel dit qu’on l’a à Caylus, à la poste. Il est facteur, peut être qu’il est à la poste à cette heure.)

-  Vous voulez que je l’appelle ?

-  Oh! Méfayas pla plasé (Oh vous me feriez bien plaisir)

Et le Monsieur avait appelé Samuel, et Samuel lui a parlé:

-  Et adiou, mayré et coussi bas, as pla vendud las cireyos ? ( Adieu, mere. Comment vas-tu ? As-tu bien vendu les cerises ?)

Et il devait avoir deux jours de congé à la fin du mois.. Ce soir là il y avait de la joie dans la maisonette et on n’a parlé que du téléphone et de cette merveilleuse invention.. Biensûr nous avions étudié celà en physique, et le téléphone commençait à fonctionner dans les administrations, mais il y avait encore très peu de lignes et pour ma part, je n’avais jamais fait usage du téléphone. Dans les cas graves et urgents on envoyait un télégramme.

Tout en méditant sur les progrés de la technique, je me déchaussais au coin du feu car j’avais les pieds mouillés.  J’avais acheté depuis peu quelquechose de nouveau aussi… Devinez quoi ? Vous ne devinez pas.. Un corset avec des jarretelles. Vous pensez si celà était nouveau ! Ma tante Mariette, toujours curieuse me regardait faire.. Tout à coup: “Et qué fas aquiou ?” – Quetti lous débasseés. –Et as pas de cambaillos ? Nani etle des jarretelles. Aco ba milliou.”

Ahurie, elle se baisse, accroche mes jarretelles, les décroche, recommence: “Ah! Qu’aco es coumodé, qu’une inbentiou magnifico”

( Et que fais-tu là,? - j’enlève mes bas – Et tu n’as pas de jarretières ? – Non, j’ai des jarretelles, c’est mieux. – Ah que c’est commode ! Quelle invention merveilleuse !)

Alors me regardant bien en face, elle me dit avec le plus grand sérieux et d’un air grave: “Ehbé escouto, an imbentat lou taliphone qu’aco es quicon de pla curcous, mais aquelos jarretelles, aquo es bé tant curious.” ( Eh bien écoute, on a inventé le téléphone qui est quelquechose de très curieux, mais ces jarretelles c’est bien aussi merveilleux.)

Comparer l’invention du téléphone à celle  des jarretelles cela fait sourire… Bien après leur mort , je racontais celà à deux de ses petits enfants. Nous étions à Limoges pour l’héritage Mallet et c’est le directeur du Central téléphonique de Limoges qui nous avait reçus. Il venait d’Agen et comprenait l’occitan. Je vous assure qu’il a ri! Il a envoyé sa fille chercher un magnétophone et il en a fait une cassette. Il m’a dit: “Je vous invite à visiter le Central téléphonique, je vous y porterai demain matin. Et en voyant toutes ces manettes, tous ces boutons, toutes ces machines, j’ai pensé que nos braves petites jarretelles, pour si utiles qu’elles soient supportent bien mal la comparaison.

 

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