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Marie Lacord, institutrice

19 juin 2018

LE CARREYRAT ET LE FAU, TRACES D'HISTOIRE PENDANT 1000 ANS

Le Carreyrat et Le Fau, quelques dates et quelques noms.

À la fin du premier millénaire Le Fau et le Carreyrat appartenaient à l’abbaye de Saint-Théodard. Les abbés confiaient leurs différents domaines à des tenanciers qui eux-mêmes disposaient de serfs (esclaves).

Au Xe siècle, Le Fau était le chef lieu d’une viguerie, mentionnée dans un acte de 998, par lequel un certain Raymond et son fils furent autorisés à conserver la propriété de ce lieu, à la charge pour eux de servir annuellement au monastère de Saint-Théodard, le jour de la fête de ce saint (1er mai), une rente de 15 pains, 4 sétiers de vin et un saumon. Saint-Theodard, évêque de Narbone est décédé le 1er mai 893

En 1003, Grimald Ebon déguerpit (remet à l'abbé Arnaud, abbé de Saint-Théodard) le fief de Montcenda (Carreyrat). Il dit que son père Hugues Ebon  le tenait des abbés Géraud, Basile et Arnaud , or Basile portait la crosse abbatiale en 958.

En 1110 Raymond et  son fils Adhémar de LAVERNHE prirent possession des serfs de MONTCENDA (Le Carreyrat)  et l’abbé Hugues II de Saint-Théodard fut contraint de leur verser 30 sous de Cahors. Dix ans plus tard  Hugues II reçut des mêmes tenanciers le don de tous les droits qu’ils avaient sur les hommes de Montcenda, moyennant la somme de 30 sols, monnaie de Cahors, qu’il leur paya sur le champ.

Les abbés disposaient donc de serfs jusqu’à cette époque..

 

La décision du comte Alphonse-Jourdain de Toulouse de créer la ville de Montauban modifia la vie des habitants du Fau et du Carreyrat. Déja en mai 1140  les chevaliers de la famille de Penne avaient vendu les terres de Campdolent et de Canteloube à l’Abbaye de Saint-Théodard du temps de l’abbé Albert II. Ce sont précisément ces terres situées à la confluence du Tarn et de l’Aveyron que prit le Comte de Toulouse en 1144 pour y construire sa ville de Montauban.P Fau fut démembré  de la sénéchaussée de Toulouse par lettres royaux d’avril 1328 et incorporé au Consulat de la ville de Montauban. 

L’abbaye de Saint-Théodard avait une métairie au Fau où l’abbé de l’époque, Guillaume I de Cardaillac pouvait se retirer. C’est de là qu’il consentit en 1343, des lettres de procuration concernant les chanoines de Saint-Etienne du Tescou. 

Les consuls de la ville de Montauban interviennent de plus en plus dans la vie des habitants du Fau et du Carreyrat alors que l’influence de Saint-Théodard se fait moins présente.

Pierre Senhoret est qualifié d’habitant du Fau lors d’une reconnaissance féodale du 5 aout 1414. On raconte qu’en 1584, un autre Senhoret probablement un descendant accueillit le futur roi de France, Henri IV

Il y avait une autre église à la limite entre le Fau et Corbarieu: Sanctus Genesius prope Fagum, déjà citée en 1274 . Cette église de Saint-Geniès est mentionnée dans un bail consenti le 26 novembre 1498 en faveur d’Odet Requiem par Marie de Terride, dite d’Audibert, dame de Corbarieu. L’église est portée au cadastre de Montauban en 1507. Elle n’est plus mentionnée ensuite.

En 1534 sous le règne de François 1er, alors que Géraud Senhoret est l'un des consuls de Montauban se déroula un procès contre le bandit de grand chemin Garanho (Jean Robert) et ses complices qui ont sévi au Carreyrat et dans maints autres lieux. Plusieurs habitants du Carreyrat comme Bernard Carrière furent ses victimes: L’aubergiste raconte au juge que Garanho et son complice Vidal Viguié vinrent chez lui manger et boire et au moment du réglement résolurent de le battre. Ils revinrent un autre jour et comme l’aubergiste refusait de les servir, ils se préparèrent leur repas eux mêmes, leur écôt s’élevait à 14 deniers et sans la présence d’autres clients qu’ils l’empéchèrent Garanho aurait tué l'aubergiste avec son arme. Une autre fois, c’est en arrivant au Carreyrat avec un ami que l’aubergiste fut intercepté par Garanho qui tenait une épée à la main, ils purent parer les premiers coups avec des poignards de laboureur qu'ils avaient pris avec eux par précaution, ce qui permit aux voisins d’accourir et de les protéger. De nombreuses autres aggressions et larcins avaient été commis. La justice intervint, Garanho fut condamné à avoir sa langue percée d’un fer chaud, puis la tête tranchée, son corps mis en quatre quartiers. Les morceaux furent exposés au public de Montauban.

En 1567, l’église du Fau fut démolie pour servir aux fortifications de Montauban où les protestants de la région s’étaient retranchés. D’autres églises proches de Montauban servirent aussi de carrières. Cependant l’église du Fau fut reconstruite en 1606.

Etienne Carnus est en 1572 brassier au Fau et marié à Catherine Sorbin

Pour poursuivre sur le consul Senhoret qui aurait accueilli le futur Henri IV à la suite d’une chasse au sanglier dans un champ de sa propriété du Mirel, il apparaît que La Ville de Montauban avait six consuls dont un qui représentait les ruraux, mais qui n’avait pas la consideration des autres consuls parceque paysan.  En 1595 Senhoret fut réélu, mais les consuls en exercice ne voulurent pas valider son élection. Henri IV devenu roi, intervint en faveur de Senhoret qui put porter le Chaperon noir et rouge des consuls.

En vertu d’une loi du 10 brumaire an IV, il fut décidé par la Ville de Montauban d’ouvrir une école au Fau ainsi que dans sept autres localités en milieu rural. Mais cette décision ne fut pas suivie d’effet. Il fallut attendre presque un siècle pour que ses premiers élèves puissent y être accueillis.

Le Fau-Ecole -CPA L'école du Fau

Marie Lacord fut élève à l’école du Fau. Son institutrice y resta toute la durée de sa carrière de 1883 à 1920.

En 1932, pour décongestionner les écoles du Fau et de Saint-Nauphary la municipalité de Montauban prévoit la construction d’une école au Carreyrat. En 1933 on parle déjà d’une nouvelle extension de l’école primaire du Carreyrat pourtant de construction récente. En 1934 l’école du Carreyrat est terminée, cependant que la maison d'école du Fau est ceinturée en ciment armé afin d'être consolidée. En 1935 il est procédé à l’épandage de gravier dans la cour de l’école du Carreyrat. Marie LACORD en sera la première institutrice, et directrice.

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27 décembre 2017

LE FAU AU TEMPS D'HENRI III

Un récit de Fernande de Lysle.

Fernande de Lysle écrit dans plusieurs journaux du milieu du XIXe siècle: La Sylphide, le Musée des Dames et des Demoiselles, Le Ménestrel, L'Orient et l'Abeille du Bosphore,... Elle écrit aussi des pièces pour le théâtre, sutout des comédies; elle est l'auteur d'un ouvrage sur "Etude de la prononciation française". Quel est son vrai nom: Mme Duperré de Lisle ou Geneviève-Aimée Delisle ou Mme Fernande Vandertaëlen ? Qui sait ? Membre de la Société des gens de Lettres et de la Société des auteurs dramatiques, elle sera Prix du Louvre en 1898 et elle obtiendra les Palmes d'Officier d'Académie. On apprend son décès en 1905.

Son récit est une adaptation dialoguée d'un autre texte publié d'abord en décembre 1841 et intitulé "Le consul de Montauban, tradition populaire" et ensuite au 2e semestre 1842 et intitulé "Henri le chasseur, tradition montalbanaise". l'histoire est connue sous le titre: "Une vengeance royale" parue dans une revue en 1850, puis réédité en 1855, dans un recueil d"Histoires à l'envers".

Première partie: Rencontres chez SENHORET, un habitant du Fau (Montauban)

On était à la fin de l'année 1586 . Henri III régnait en France par la grâce de Dieu et de Catherine de Médicis sa mère.

Le temps était triste, le ciel rayé de pluie. Les chemins étaient déserts, le vent s'engouffrait en sifflant dans les arbres découronnés. Soudain sur la côte qui domine le VILLAGE DU FAU, situé das la banlieue de Montauban, un cavalier parut, et, d'un coup d'oeil rapide examina la position des lieux.

Avant de se mettre en route, il prit un cornet de chasse qu'il portait à l'arçon de sa selle, et en tira quelques sons étouffés. Il réitera cet appel à plusieurs reprises; mais, ayant reconnu l'inutilité de ses efforts puisqu'il n'obtenait pas de réponse, il piqua des deux et se hâta, par un temps de galop, de regagner le temps perdu.

La pluie qui fouette le visage et qui glace les os n'a jamais inspiré la gaieté à personne. Notre voyageur n'échappa point à la mauvaise humeur que le ciel lui envoyait par doses infiniment trop prolongées. Il entra ainsi le front plissé dans la longue et unique rue qui composait le VILLAGE DU FAU. Dans ce village abandonné d'autres déceptions l'attendaient. Pas un habitant, pas une maison ouverte, pas une auberge.

-Où diable me suis-je fourré ? murmurait le cavaier. Est-ce dans l'antichambre de l'enfer? ou les Guisards ont-ils passé par ici et tellement ravagé qu'ils n'y aient pas même laissé âme qui vive dans leur fureur de pillage ? Par COLIGNY ! PIBRAC m'avait bien conseillé: "Il vous arrivera malheur en chasse" m'a-t-il dit. Il avait raison mille fois. J'aurais sagement fait de m'en tenir à ses sages conclusions: rester céans. Et mes braves amis ? Je les ai tous perdus à chercher la trâce de ce maudit sanglier qui m'a échappé encore. Ventre saint gris ! Quand je devrais réveiller des morts, je vais faire ici un tel massacre qu'il faudra bien qu'on me réponde.

Exaspéré par la pluie qui redoublait de violence et par l'impossibilité de rencontrer un gite, le cavalier se disposait à enfoncer une maison de chétive apparence, lorsqu'il s'aperçut que sa colère était inutile et que la porte n'était pas fermée. Aussitôt il quitte les arçons, pousse la porte, met son cheval au ratelier de l'écurie, revient s'installer dans une vaste salle, et sans plus de façons que s'il était chez lui, il approche un escabeau, le place en travers du feu pétillant, et s'assied les jambes allongées. Il avait accroché son manteau de route aux parois de la vaste cheminée. Tout entier au bonheur d'avoir échappé à l'orage, notre homme se chauffait et ne pensait à rien. Il n'entendit pas l'exclamation qui éclata derrière lui; il ne vit pas la charmante fille que l'étonnement clouait au seuil et qui le manifestait clairement par sa bouche entrouverte et ses regards craintifs. Enfin, comme elle avait déja toussé en vain et qu'elle ne réussissait pas à attirer l'attention, elle se décida à finir par où elle aurait dû commencer.

- Monsieur, dit-elle d'une voix inquiète. Je ne vous connais pas. D'où venez-vous ?

L'inconnu tourna brusquement la tête.

- Par la Baïse! s'écria celui-ci, je ne te connais pas d'avantage; mais nous allons faire connaissance. Dis-moi qui tu es et où je suis.

- C'est plutôt moi qui devrais vous adresser des questions !

- A ton aise, j'y répondrai en t'embrassant.

- Alors, je vais prévenir mon père...

- Calme-toi.

- ..Qui vous apprendra de quelle façon il traite les impertinents.

- Bah ! je dirai à ton père, voilà un bel écu de Bordeaux que j'ai proposé à votre fille en échange de l'hospitalité, elle l'a refusé. Et ton père te battra.

- Vous feriez cela ?

- Non, petite fille, j'irai te chercher, je te prendrai doucement par ta jolie main... comme cela... nous partagerons ensemble l'escabeau ainsi... et un baiser...

Mais le hardi compère n'eut pas le temps d'appuyer la figure par l'effet. On heurta aux carreaux de la fenêtre.

- Messire le galant, dit une jeune voix; n'y a-t-il pas moyen de faire participer un pauvre diable, mouillé comme un goupillon, à cet excellent feu et à ce doux voisinage?

- Passez votre chemin, réplique l'étranger.

Le jeune homme poussa les volets vermoulus de la fenêtre; ils cédèrent, et d'un saut il fut au mileiu de la chambre.

- Par exemple ! fit la petite paysanne.

- Comment t'appelle-t-on la belle enfant?

- BRUYÈRE. Mais ce n'est pas une raison...

- Eh bien BRUYÈRE, je n'ai pas le goût plus mauvais que mon prédécesseur et je t'en donne la preuve.

La pauvre fille, tombée de Charybde en Scylla, se sauva de ce nouveau venu. Les deux galants se trouvèrent face à face.

- Ventre saint gris ! dit le plus âgé: c'est donc toi, mon pauvre CHÂTILLON ?

- Moi-même... je n'espérais pas... Votre ma...

- Chut !

- J'étais égaré dans les bois lorsqu'il m'a semblé entendre un bruit de cor.

- C'était le mien

- Mais il retentissait dans un tel éloignement, que je désespérais de suivre ses traces, lorsque..

- Tu as fait comme moi, tu as vu le village sur la côte.

- Et en jetant ça et là un coup d'oeil de détresse, j'ai vu aussi votre maj...

- Encore!

- Ce nom est gravé dans mon coeur.

- Flatteur, je n'en veux pas d'aujourd'hui

- Alors donnez-m'en un autre;

- Je m'appelle HENRI-LE-CHASSEUR.. je suis officier.

- Du roi de Navarre, je suppose ?

- Et son meilleur ami. Tu es mon camarade. Entends-tu ?

- Soyez tranquille, maître HENRI, je vous garderai le secret.

La jeune fille les regardait curieusement converser.

- Approche, BRUYÈRE, ajouta CHÂTILLON. Tu vois que nous sommes d'honnètes gens, tu n'as rien à craindre de notre part.

- Qui sait répondit-elle d'un air mi-boudeur, mi-souriant.

- Voilà maître HENRI, un fameux compère qui a le plus excellent coeur.. et moi je suis son ami, nous mourrons de faim tous les deux et tu vas dresser la nappe.

- Tant pis pour vous, il n'y a rien dans la maison de SENHORET;

- Tu railles.

- À la recherche, CHÂTILLON ! s'écria HENRI.

Les deux amis se mirent à fureter dans les armoires, en un tour de main la lourde table de chêne fut approchée du foyer, la toile grise étalée; le jeune étourdi apportait, avec des cris de joie, un foie de canard qu'il avait trouvé dans le bahut. Soudain la porte de la rue fut ébranlée.

- On farppe dit HENRI

- La compagnie sera plus nombreuse, dit CHÂTILLON..

- Et le souper plus maigre.

Cependant l'on s'impatientait à la porte.

- Holà! criait-on, BRUYÈRE !

La tremblante fille se hâta d'aller ouvrir. Elle avait reconnu la voix de SENHORET, son père; mais elle devinait combien sa colère était grande.

Le troisième compagnon entra. C'était le maître de céans; il fut aisé de s'en apercevoir à la façon dont il se présenta. Il s'arrêta sur le seuil de la chambre, le chapeau sur la tête, le mousquet sur l'épaule. Il portait l'habit blanc encore en usage; chez les paysans, la ceinture de cuir et le large coutelas. Sa figure n'inspirait au premier abord rien moins que la sympathie; mais il y avait dans son attitude quelquechose d'intelligent et de fier qui plut à HENRI, lequel savait juger au coup d'oeil ce que valait un caractère.

- Oh! Oh! dit SENHORET, le sourcil froncé, m'est avis, mes maîtres, que vous mettez en mon absence mon logis au pillage, ni plus ni moins que les soldats de GUISE. Fort bien ! mon feu, mon escabeau, mon souper, vous prenez tout...

- Nous paierons en belle monnaie interrompit CHÂTILLON...

- N'en croyez rien dit son camarade, nous vous invitons..

- À la bonne heure ! Voilà de la hardiesse bien placée.

- Nous sommes des chasseurs malheureux.

- Mouillés jusqu'aux os.

Et mourants de faim. Vous voyez bien que, par humanité, vous ne pouvez nous refuser un souper et un gite.

- Si vous vous êtes battus avec le vent et la pluie, soyez mes hôtes. Il fait un temps à ne pas mettre un collecteur à la porte. Ça, BRUYÈRE, des habits, du linge et la table mise, alerte ! 

Le brave paysan pressa cordialement la main de ses hôtes. Bientôt le souper fut servi. Un bon souper, ma foi! qui fit briller de plaisir les yeux gris de maître HENRI. outre le pot bouillant placé au milieu, il y avait là le foie de canard déjà découvert, la cuisse d'oie, -mets national, - le plat de salé et l'omelette à l'oseille; de plus un morceau de venaison, qui, bien que soigneusement couvert, se trahissait par son parfum. Tout cela fut apporté de la cuisine par BRUYÈRE, qui servit d'échansson aux convives. Longtemps, on ne souffla mot, et nul bruit ne retentit que celui des fourchettes et des couteaux. Quand la grosse faim fu satisfaite, la conversation reprit le dessus. SENHORET voulut tâter ses hôtes et savoir ce qu'ils avaient au fond du coeur. Il fit un signe à la jolie BRUYÈRE, qui remplit à moitié les trois verres de pimprenelle, pour que le vin vieux qu'ils contenaient eut un gout plus exquis.

- À votre santé, mes maîtres dit SENHORET en trinquant. Comment vous trouvez-vous de mon souper ?

- Parfaitement.

- Ma foi! vous autres paysans de la banlieue de Montauban, vous aimez la bonne chère.

- Et le fruit défendu, à ce que je vois, ajouta HENRI en désignat le plat couvert.

- Ah! vous flairez comme un chien de chasse.

- Le fumet se sentirait de la rue.

- Qu'est-ce donc ? dit SENHORET, une main sur le couvercle.

- Du sangleir.

- Celui que nous avons chassé ce matin, acheva CHÂTILLON.

- Il se peut que ce soit le même, dit le paysan en riant d'un gros rire. C'est ma bête de prédilection. Toutes les fois que je me promène dans mon champ et qu'il s'en trouve un au bout de mon mousquet, il est rare qu'il ne me laisse pas sa peau.

- Il parait que vous vous promenez souvant dans votre champ!

- Toutes les fois qu'il y vient des sangliers.

- C'est fot aimable pour qui les chasse !

- Aimeriez-vous mieux que celui-ci fourrageat mes semailles.

- Je ne dis pas cela; mais vous jouez là un jeu dangereux, mon maître.

- Bon! à cause de mon habit blanc, n'est ce pas ?

- La chasse n'est pas permise dans votre condition.

- Dieu merci ! la banlieue de Montauban est libre, et nous sommes loin des terres du roi de Navarre. Ici, Dieu envoie le gibier à qui sait le prendre. Encore une tranche et un verre de vin mes hôtes.

- À la santé du roi de Navarre ! cria CHÂTILLON.

- Au diable l'étourdi ! répliqua aigrement SENHORET. Je voudrais savoir ce tyran des chasseurs sous les torrents de pluie, et je vous jure qu'il ne s'assoierait jamais où vous êtes.

CHÂTILLON à cette boutade, rit sous cap et jeta un regard de côté à son compagnon, qui ne sourcilla pas le moins du monde. Au contraire, voulant ramener la conversation sur un sujet plus gracieux, il avisa BRUYÈRE et dit à SENHORET en le poussant du coude d'un air goguenard.

- Vous avez là une belle fille compère. À quand la noce ?

- BRUYÈRE ne se mariera pas. Elle a promis de ne pas me quitter.

- Aimable compagnie ! murmura CHÂTILLON. J'en sais une autre qui la flatterait davantage.

Comme il avait jeté un coup d'oeil à la dérobée pour lui faire deviner ses intentions, BRUYÈRE ne manqua pas de rougir; - ce qu'elle fit avec une grâce décente. Elle ne s'avisa plus de regarder le jeune homme parce qu'elle se troublait en le regardant. Peutêtre le trouvait-elle un svelte et gracieux garçon, qui possédait sans doute autant d'esprit, de courage que de bonne mine. À vingt ans, il est permis de faire battre le coeur des jeunes demoiselles, quoique on ressemble encore à un fou ou à un enfant.

- Si vous m'en croyez dit HENRI, envoyez-là à PAU. J'ai quelque influence à la cour de la reine Marguerite; elle est jolie, elle est sage, on lui fera une grosse dot, et les maris viendront tout seuls. Qu'en penses-tu CHÂTILLON ?

- Que c'est un projet magnifique auquel je consens et BRUYÈRE aussi.

- Est-ce vrai ma fille ?

- Je ne sais pas, moi.

- Eh bien ! votre beau projet ne me va pas du tout, reprit SENHORET en frappant sur la table. Votre cour est un enfer, votre MARGOT une coquette, et quant à son mari...

- Qu'avez-vous à dire du Béarnais?

- J'ai un fier chapelet de griefs contre lui. D'abord, c'est un débauché; il court après toutes les filles et désole tous les maris.

- Leurs femmes sont là pour les consoler.

- Ensuite, il n'est pas digne du beau nom de chasseur. N'est-ce pas honteux de condamner à la hart un pauvre diable qui a tué une maigre pièce de gibier ?

- Comme celui-ci interrompit CHÂTILLON en montrant les débris du sanglier.

- SENHORET, ajouta son camarade, on vous a égaré, le roi de Navarre...

- Je crois que tu le soutiens !

- C'est assez naturel, fit l'espiègle en dessous.

- Ne t'en avise pas, ou nous nous facherions. Au premier abord, quand je suis entré, tu m'as fait l'effet d'un huguenot de là bas, avec ton pourpoint noir en mauvaus état. Qui es-tu donc, toi qui prétends avoir quelque influence sur le roi de Navarre ?

- Je suis à son service;

- Quelle charge remplis-tu auprès de lui ?

- Celle de premier écuyer, n'est-ce pas CHÂTILLON ?

- Oui, messire.

- Toi ! Et c'est dans ce costume que tu assistes aux cérémonies !

Nous avons dit que le pourpoint et le haut-de-chausse d'HENRI le chasseur n'étaient pas de nature à inspirer la confiance.

- Ah ! tu juges le dedans d'après le dehors, mon brave, répondit celui-ci sans beaucoup s'émouvoir. Est ce que l'on prétend aussi de ce côté que c'est la chape qui fait l'évèque ?

- BRUYÈRE, verse nous rasade. Mon cher homme, dit SENHORET, puisque tu parles de proverbes, il y en a un qui pousse tout seul sur les bords de la Garonne. Menteur comme un gascon, tu viens de le mettre en pratique. C'est bon avec les gens du Nord, qui avaient nos bourdes le cou tendu. Tiens, sans détour, dis-moi ce que tu fais près du Béarnais.

- Je suis le premier de ses gentilhommes, n'est ce pas CHÂTILLON ?

- Oui, monseigneur;

- Cervelle incorrigible ! ne pourras-tu t'en tenir à l'exacte vérité ?

- Faut-il donc ne rien cacher ?

- Non !

- Eh bien ! sans exagérer, je suis le roi de Navarre lui-même, et CHÂTILLON est un de mes pages.

- Oui, sire.

- Pauvre diable fit le paysan en haussant les épaules, Il a déjà l'esprit à l'envers pour quelques bouteilles. BRUYÈRE, mène-le promptement à sa chambre; qu'il se couche bien vite.

HENRI essaya de protester de la véracité de ses paroles; en vain en prenait-il CHÂTILLON à témoin. SENHORET fut sourd; il répondait par des signes de tête et un air de compassion. Quant au jeune homme profitant de la discussion, il entretenait BRUYÈRE à voix basse et lui assignait hardiement un rendez-vous pour le point du jour. Elle ne répondait ni oui, ni non; mais elle avait laissé prendre sa main et n'osait plus la retirer, peutêtre pour mieux écouter les belles choses qu'on lui contait. décidemment on était à bonne école, et on faisait de rapides progrès à la cour du roi de Navarre !

SENHORET_Mary_Lafon_HIV_nov_1584

 Illustration du texte de 1849 où Henri le chasseur est seul face à Senhoret, dont la jeune et jolie épouse (et non la fille) prépare le repas.

Le lendemain nos gens s'éveillèrent au chant du coq, HENRI alla droit au paysan et le remercia de l'accueil cordial qu'il avait trouvé chez lui. CHÂTILLON sellait les chevaux dans l'écurie. Comme BRUYÈRE s'était rencontrée là par hasard, il les sellait fort mal et la besogne n'avançait pas.

- BRUYÈRE, disiat-il tu es plus belle que madame MARGOT, et le suprème bonheur serait d'être aimé d'une créature aussi parfaite que toi.

- Vous me flattez; cependant je mentirais, si je vous disais que votre départ ne me chagrine pas.

- Veux-tu être à moi ?

- Pour me marier ? Oh! oui...

- Tiens, échangeons nos anneaux.

Quelques moments après les deux cavaliers montaient en selle, et le plus âgé répétait à SENHORET en lui pressant la main

- Adieu! Aujourd'hui je suis pauvre, et ma reconnaissance de l'hospitalité que tu m'as donnée se borne à des paroles; mais j'ai à Paris un cousin qui me laissera un jour un grand héritage. Alors viens me voir, si tu as de l'ambition, et je me souviendrai. Si jamais le roi de Navarre échange sa couronne contre la couronne de France, viens au Louvre et demande HENRI le chasseur. Je ne serai pas ingrat.

CHÂTILLON ajouta tout bas en envoyant un baiser à BRUYÈRE

- Et moi, je te serai fidèle.

SENHORET sourit comme un inrédule; BRUYÈRE essuya ses paupières.

Les deux cavaliers avaient disparu.

Fin de la première partie.

 

25 décembre 2017

LOU TEMPLE DEL FAOU

LE TEMPLE DU FAU

le fau           Une présentation du temple du Fau en langue occitane par S. Garrigues-Quatre, publiée en 1977 - Traduction de Marie Lacord.

Lou temple del Faou

Per basti l’oustal de nostre Diou, lous anciens poudiou pas causi un milioun endrets. Lous protestants del bord del Tescou lou bouliou al Carreyrat, lous del Faou lou bouliou in lou bilatsé; per metre lous uns e nous autres d’accordi lou campéou a flan de pets, as Poulidets, l’endrets coumbénio a soqu’ero destinat.
Pour bâtir la maison de notre Dieu, nos anciens ne pouvaient choisir un meilleur endroit. Les Protestants des bords du Tescou le voulaient au Carreyrat, ceux du Fau le voulaient dans le village. Pour mettre d'accord les uns et les autres ils l'ont campé au flanc du coteau aux Poulidets. L'endroit convenait parfaitement à ce qui était son destin.
Aques Igounaous serquéou pas a basti uno catédralo, lous anciens toutzoun tracats n’abiou coumo temple  que lous arbres des bosquets des Caboullious. Omes e fennos remplis d’aaquelo four que nous rendiocapables de braba la mort ou las galères se reunissiou qan-mémo entre frayères per letzi la bible e pressa Diou.
Ces Huguenots n'ont pas cherché à bâtir une cathédrale. Les Anciens toujours traqués, n'avaient comme temple que les arbres des bois des Cabouillous. Hommes et femmes, remplis de cette foi qui les rendait capables de braver la mort ou les galères, s'y réunissaient quand même entre frères, pour lire la bible et prier Dieu.
Se countentéou d’un gros oustal, dount uno partido syouscèc lou templé per celebra los oficiis, cado dimaentsé ero plé.
L’aoutro partido servisse d'escolo. Un redzent cado dzoun aprenio lous maynatzes a escrioure e a letzi la biblo.
Cant run intro in aquel oustal de Dieu, se prumyè qu'onn bey pel la muraille d’en faço, uno grando crous de bouès q’a remplaçat la cadiere, la descendegou pe pastor entre pus prep des parouquias.
Ils se sont contentés d'une grande maison, dont une partie fut le temple pour y célébrer les offices.Chaque dimanche, il était plein. L'autre partie servait d'école. Un instituteur, chaque jour, apprenait les enfants à écrire et à lire la bible.
Quand vous entrez dans cette maison de Dieu, la première chose que vous voyez contre le mur d'en face, une grande croix de bois qui a remplacé la chaire; on l'a descendue pour que le pasteur soit plus près des paroissiens.
La taoulo sento nous rapelo lou sacrifici de Dzezus fats un cop per toutis per salba lous paoures pecayres que sèn.
L’armonyoun accoumpagno nostris cantiqués; malgre nostro buono boulountat per adora e glourifia Dzezus cantan pas toutzoun dzuste.
EL soul aprecio.
La sainte table nous rappelle le sacrifice de Jésus fait une fois pour toutes pour sauver les pauvres pêcheurs que nous sommes.
L'harmonium accompagne nos cantiques; malgré notre bonne volonté, pour adorer et glorifier Jésus, nous ne chantons pas toujours juste. Lui seul appréciera. 
Lous bancs soun durs, a que serbio de s’en plantse, Dzezus nasquec in un estaple, can syousquec gran pla sigur   abio de faoutur per s'assieta. Per mur, sur uno plaço de marbre oun soun escribut lous nouns de dzoubes de la paroquio tombad dzous la mitraillo à la flou de lour atze, s’errou élis tabé assisetat sur aques bancs e aproutsa d’aquelo taoule.
Les bancs sont durs, à quoi servirait de s'en plaindre. Jésus est né dans une étable. Quand il a été grand,il n'avait pasde fauteuil pour s'asseoir. Au mur, sur une plaque de marbre sont écrits les noms des jeunes de la paroisse tombés sous la mitraille à la fleur de leur âge; eux aussi s'étaient assis sur ces bancs et approchés de cette table.
De grandos fenestros daissou dintra lou sourel , sayo ola doumatze de brulla de lun can Diou a prebist so que cal per nous éclayra lou dzoun.  Per confessa nostris pesais e nous repenti, abén pas bezoun de coens é de recoens, tout se passo al gran dzoun.
De grandes fenêtres laissent entrer le soleil. Ce serait bien dommage de 'brûler' de la lumière quand Dieu a prévu ce qu'il faut pour nous éclairer le jour. Pour confesser nos pécés, et nous repentir, nous n'avons pas besoin de coins et de recoins, tout se passe au grand jour.
Cant oun sort d’aquet oustal aprèp abé repaouzat lou cos e l’esprit, e recebut l’esperenso, lous èls sou emerbeillats de la pats que regno al tour.
D'un coustat, amoun-lenc, Mountalba, de l'aoutre, la plano del Tescou, lou bilats de San Naoufari es arrucat tout al founs.
Quand on sort de cette maison après avoir reposé le corps et l'esprit, et reç l'espérance, les yeux sont émerveillés de la paix qui règne autour de nous. D'un côté là-bas au loin Montauban. De l'autre, la plaine du tescou, le village de Saint-Nauphary est blotti tout au fond.
Daban la porto, lou gran casse, ornomen que Diou soul a façounat; l'estiou nous oufris soun oumbro fresco. l'ibèr, à Nadal, sous grandis brasses nuts, birats catsa lou cel, sabou qu'a Pascos lousourel lou regaillardira é fara sourti de féilletos touos nebos.
Pantacouste lou tournara beyre, bert, feillut, e sa spandou retroubado.
Devant la porte le grand chène, ornement que Dieu seul a façonné. L'été il nous offre son ombre fraîche, l'hiver, à Noëel, ses grands bras nus, tournés vers le ciel, savent qu'à Pâques, le soleil regaillardira et fera sortir de petites feuilles toutes neuves. Pentecôte le reverra vert, feuillu dans sa splendeur retrouvée.
E bous aouèy que repaouzas darret aquel temple, dourmesen pats. Toutzoun berts lous aoussupriès coumo de sentinelos mountou la garde a bostre cant de repaous.
Et vous qui, aujourd'hui, reposez derrière ce temple, dormez en paix. Toujours verts, les cyprès, comme des sentinelles, montent la garde sur votre champ de repos.
S. GARRIGUES QUATRE - 1977 
Traduction Marie LACORD
 le fau-signature
Aout 1965, devant le temple du Fau 

Temple-du-Fau-aout-1965 

Marie Lacord est devant au centre,

Des tombes dans le cimetière du Fau 

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Simone en été 2015

28 mai 2012

MARIE LACORD, INSTITUTRICE

PORTRAIT DE MARIE LACORD NÉE TAILLEFER

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Cliché Bill's photo Co n°22252 rue Lafayette Toulouse

Marie LACORD a été institutrice à Auty, Moissac, puis à Loubejac et enfin au Carreyrat.

5 avril 2012

HISTOIRES VRAIES RACONTÉES PAR MARIE LACORD

 

mancot-5-villecresnes Quatre générations à l'aiguille

"Je suis une vieille grand mère de deux petites filles et une arrière grand mère aussi de 93 ans ( en 1983). J’ai été institutrice à l’âge de 20 ans à ma sortie de l’École normale où j’avais été pensionnaire pendant trois ans, à Agen de 1902 à 1905."

MARIE TAILLEFER DOIT SA VOCATION ET SON MÉTIER À SON INSTITUTRICE DU FAU (village près de Montauban, Tarn et Garonne)

"Je suis sortie d’une école de campagne à classe unique dirigée par une maîtresse des premières institutrices laïques de la loi de 1882 rendant l’instruction primaire  gratuite, obligatoire et laïque, appelée loi Jules Ferry. Elle était admirable, se dépensant sans compter son temps et ménager sa peine et elle est restée  pendant toute sa carrière dans notre village du Fau de 1883 à 1920.  Elle m’a présentée au Certificat d’études primaires, puis Concours des bourses.  Reçue aux deux examens, je suis allée en pension à l’école primaire supérieure de Moissac, préparer les concours d’entrée de l’École normale."

CONCOURS DES BOURSES, ÉCOLE SUPÉRIEURE DE MOISSAC, ADMISE À L'ÉCOLE NORMALE D'AGEN, PUIS PREMIER POSTE À MONTECH JUSQU'EN 1910.

 

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1 - La petite Marguerite Ambroisi  ( Montech, Tarn et Garonne)

J’ai été nommée à Montech à 12 kilomètres de Montauban dans un chef lieu de canton, un beau village de plaine traversé par une branche du canal latéral à la Garonne.

L’école avait quatre classes, moi j’étais chargée du Cours élémentaire deuxième année et du Cours moyen 1ère année. Mes petites élèves étaient gentilles, assez obéissantes et j’étais satisfaite de leurs progrés. Une d’elles, quoique bonne élève, paraissait farouche, souvent boudeuse et ne jouait guère avec les autres pendant les récréations. Elle s’appelait Marguerite Ambroisi. Elle était brune, ses cheveux chatain foncé, retombaient en mèches sur ses épaules, elle paraissait maigre et frêle sous son tablier noir.. Un jour elle n’est pas venue en classe. J’ai demandé :”Savez-vous pourquoi Marguerite n’est pas venue en classe ?” Une de ses compagnes m’a réponbdu - “Mademoiselle, elle est en prison avec sa grand mère!” J’étais stupéfaite. - “C’est bien vrai ce que tu me dis ? J’ai de la peine à le croire.” – “Si Mademoiselle je l’ai vue partir hier soir.”

Je me suis rendue le soir même dans la rue où habitait Marguerite Ambroisi, et j’ai vu leur pauvre petite maison. Une voisine m’ a fait entrer chez elle et m’a expliqué ce qui me paraissait incroyable.: “ Que voulez-vous, la mère Ambroisi est très pauvre et elle est bien âgée pour travailler. Elle s’est chargée de sa petite fille Marguerite, qui n’a plus ses parents, ils sont morts tous les deux. Pour se chauffer en hiver, elle a le droit d’aller chercher du bois mort dans la forêt. Quand il fait beau, elle prend sa brouette et elle va dans la forêt avec Marguerite. Cela fait 4 km à pieds tout de même!  Quand elle trouve assez de bois mort pour remplir sa brouettte, c’est parfait. Mais souvent,  elle n’en a pas beaucoup, alors elle prend sa cognée et abat un jeune arbre, qu’elle coupe en morceaux et qu’elle cache sous le bois mort. Cela est formellement défendu, il faut protéger la forêt et laisser pousser les jeunes arbres. Si elle rencontre un garde forestier, il a le devoir de lui dresser  un procès verbal, mais comme elle ne peut pas payer l’amende elle va en prison; et comme elle ne peut pas laisser sa petite fille toute seule, elle l’a prend avec elle.

Je suis rentrée toute pensive et attristée. 

Quand j’ai appris le retour de la grand mère, je suis allée la voir et nous avons causé.: “Celà ne vous fait pas de la peine d’aller en prison avec Marguerite ? – Non, m’a-t-elle répondu, Je suis contente de la prendre avec moi au contraire. Nous sommes nourries, nous avons chaud. Seulement voilà, après l’âge de sept ans, je ne pourrai plus la prendre en prison, je ne sais pas qui me la gardera.- Vous tacherez de ne plus vous faire mettre en prison, lui ai-je répondu – Eh oui, j’essaierai, mais il faut bien se chauffer en hiver et je ne peux pas acheter de bois.”

J’ai quitté mes chères élèves en 1910 pour me marier et bien des événements se sont passés. Hélas il y a eu la terrible guerre de 1914-1918. En 1920, j’ai été nommée dans un petit village très agréable. Je l’avais demandé car il y avait aussi un poste de secrétaire de mairie que pouvait prendre mon mari à son retour de la guerre, fatigué et amputé de la main droite. 

Un soir d’été, j’ai vu arriver une charmante jeune fille qui s’est approchée et m’a dit  en souriant: “Vous ne me reconnaissez pas ? moi je vous ai reconnue tout de suite, je suis Marguerite Ambroisi. – Oh que je suis contente de vous revoir. Et où habitez-vous ? – Je suis au château de la famille de Cruzy, je suis femme de chambre des demoiselles. – Et où as-tu appris à coudre et repasser ? – Ma grand-mère est morte quand j’avais dix ans. Je suis entrée à l’orphelinat de Montech et je sais très bien travailler."

Depuis, j’ai appris qu’elle s’était mariée et qu’elle vivait à Montech avec ses enfants et ses petits enfants. Si elle est encore en vie, elle doit avoir 80 ans.. J’espère qu’elle est plus heureuse que ne l’était sa pauvre grand mère.

2 - Jeanne d’Arc et le candidat. (Loubéjac 1930)

Vers 1930, je faisais partie de la commission d’examen du Certificat d’études primaires dans un chef lieu de canton qui s’appelait Molières. Un grand garçon se présente pour être interrogé à l’oral d’Histoire. Je lui ai dit: "Raconte moi la vie de Jeanne d’Arc. “ Avec beaucoup d’assurance, il m’a raconté son enfance à Domrémy où elle était née en 1412, lorsque la France était occupée presque toute entière par les Anglais, son départ avec le seigneur de Baudricourt. Il m’a raconté ensuite qu’elle était allée trouver le roi Charles VII à Chinon, qui lui avait confié une armée pour délivrer Orléans, 1429. Enfin, il n’a pas oublié qu’elle a été fait prisonnière par les Bourguignons qui l’avaient livrée aux Anglais et qu’elle mourut sur le bucher le 30 mai 1431 à Rouen. Je l’ai félicité, puis je lui ai dit:”C’est très bien, tu auras une très bonne note; mais puisque tu connais si bien la vie de Jeanne d’Arc et sa mort, dis-moi si tu sais qu’elles ont été ses dernières paroles sur le bucher, si tu ne le sais pas tant pis, cela ne changera rien à ta note. “Mon candidat paru surpris, embarassé, certainement il ne savait pas que Jeanne d’arc avant  de mourir  avait dit qu’elle pardonnait à ses ennemis, à tous ceux qui l’avaient fait souffrir. Alors il a répondu: Elle a dit, elle a dit,.. je crois qu’elle a dit, Faisez-moi des-cendre.

 

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3 - Lucie Bigouret - Cirque Breton (Moissac 1902)

J’ai connu aussi comme pensionnaire à l’école primaire supérieure de Moissac où j’ai préparé le concours de l’École normale, une fillette de 11 ans, Lucie Bigouret dont les parents étaient propriétaires d’un cirque: le cirque Breton. Pendant le séjour de ses parents dans la ville elle dressait de petits lionceaux allaités par une chienne et les promenait souvent sur la place des Recollets. Le cirque se trouvant à Pau pendant les vacances de Pâques, elle est allée y passer ses vacances. Quand elle est revenue elle pleurait à chaudes larmes.

“Qu’as-tu Lucie” lui avons-nous demandé. - Oh! Dit-elle en sanglotant, il nous est arrivé un grand malheur. Nous avions deux tigres, Sultan et César, ils s'aimeient beaucoup, ils ne se disputaient jamais. Je ne sais pas pourquoi dimanche soir Sultan a battu César et l’a tué. C’est une énorme perte pour nous. Mais Sultan depuis ne veut plus manger, il regrette  d’avoir tué son frère et il verse des larmes grosses comme ça. Nous avons peur qu’il meure aussi." Quelques jours après Lucie a reçu une letre de ses parents. Sultan était mort de remord.

4 - Blanche Steeg – Cirque Camelli (Moissac)

J’ai eu aussi une élève d’un cirque, Blanche Steeg. Elle était dans ma classe à 8 ans, 9 ans, 10 ans. Le cirque hibernait à Moissac en hiver et j’avais Blanche dans ma classe, mais l’après midi seulement.  Sa grand mère l’accompagnait. Je me plaignais parce qu’elle ne venait jamais le matin. “Mais elle travaille, me dit sa grand mère, elle fait travailler les singes. Puis on lui fait subir des transformations pour qu’elle puisse aller sur la piste, plus tard…

- Ah et lesquelles?

- On lui déforme la tête pour qu’elle puisse traverser  le cercle de feu. On la désarticule pour qu’elle puisse aller sur le trapèze Volant.

Malgré toute ma bonne volonté, à la fin du troisième hiver, Blanchette savait juste lire, écrire et compter un peu.

Ce sont les voitures du cirque qui ont sauvé beaucoup de Moissagais pendant l’inondation de 1930.

5 - Le professeur Lacassagne (Moissac 1901-1902)

Je suis sortie d’une école de campagne à classe unique dirigée par une maîtresse des premières institutrices laïques de la loi de 1882 rendant l’instruction primaire gratuite, obligatoire et laïque, appelée loi Jules Ferry. Elle était admirable, se dépensant sans compter son temps et ménager sa peine et elle est restée  pendant toute sa carrière dans notre village du Fau de 1883 à 1920. Elle m’a présentée au Certificat d’études primaries, puis Concours des bourses.  Reçue aux deux examens, je suis allée en pension à l’école primaire supérieure de Moissac, préparer les concours d’entrée de l’École normale. J’ai eu du mal à m’habituer à tant de professeurs! Nous en avions un très bizarre. Il s’appelait Monsieur Lacassagne, grand, brun, l’air sévère. C’était notre professeur de mathématiques. Il nous appelait au tableau en nous regardant à tour de rôle, puis en tournant le bout de son nez avec son index il disait: “Allez au tableau Mademoiselle, s’il vous plait, pour la leçon …   Taillefer (c’était moi) ou Villemur, ou Nadal… Écrivez plus haut… encore plus haut…  encore plus haut… quand on était au bout du tableau, il s’écriait .” Vous n’avez pas compris que je voulais dire plus bas? “ Et on écrivait plus bas.

Un autre jour, comme on avait fait un peu de bruit avec nos plumiers, il nous a dit: “Portez moi toutes ces malles sur la galerie” A la queue-leu-leu nous nous exécutons et nous reprenons nos places. Alors il nous dit :”Écrivez en retourné

- Monsieur nous navons pas nos porte-plumes”

- Imbéciles, vous ne pouviez pas les garder!

Et nous voilà reparties sur la galerie chercher nos porte-plumes. Malgré celà, il nous faisait de très bonnes leçons.

Un jour, j’étais alors en 3eme année, toute la classe avait raté un problème, un des fameux problèmes de couriers. Notre professeur était furieux. "Un problème si facile, vous êtes des idiotes, vous serez toutes collées et ce sera  bien fait!

-  Il n’était pas si facile, ai-je répondu.

-  Mais si, je suis sûr que mon dernier fils Yvan qui a cinq ans l’aurait fait juste.

-  Eh bien Monsieur, cela prouve qu’il est très intelligent. En ferez vous un professeur comme vous ?”

Il a bondi de sa chaise “En faire un professeur, intelligent comme il est, pour tirer le diable par la queue comme moi ! Jamais de la vie. S’il m’écoute, j’en ferai un chiffonier.”

Nous avons eu toutes le fourire.. A notre époque, les chiffoniers trainant la savate parcouraient les villes et les campagnes à pied ou avec un cheval ou un âne, mal vêtus et ils criaient: “ Peaux de lapins, peaux, y a t il des os, de la plume, des vieux chiffons à vendre ?” Il n’y avait alors ni bicyclettes, ni autos. Pauvre Yvan, si gentil, chiffonier ? Nous ne pouvions nous empêcher de rire. “Riez-bien nous dit Monsieur Lacassagne, j’espère qu’il suivra mes conseils.”

Bien des années passèrent, bien des malheurs et quelques joies. À la fin de ma carrière en 1933, j’ai eu le Bonheur d’être nommée au Carreyrat, à 4km de Montauban. Ma soeur et mon beaufrère, un excellent homme, y était forgeron. Tous les samedis, il allait au marché de Montauban vendre ses herses et ses charrues. Un samedi, parti à vélo, il est revenu avec le petit train, un genou abîmé, un pansement au front.

“Que t’es-t-il arrive mon pauvre Benoit ?

-  J’ai été heurté par une auto qui m’a renversé et je suis un peu écorché.

-  Et qui t’a renversé?

-  Oh! un Monsieur très gentil! Il m’a dit “Je ne sais pas qui de nous deux est en tort; nous allons arranger ça pour le mieux”. Il m’a conduit à la pharmacie où on m’a soigné, il a amené mon vélo dans un garage et il m’a dit “Vous m’enverrez la note de tout cela et je vous enverrai un chèque.” Comme je lui avais dit que mon fils était prisonnier en Allemagne, il m’a dit: “Je vous enverrai un beau cadeau pour lui.” De fait il lui a fait parvenir un beau sac de couchage. Tiens j’ai sa carte..”

Sur cette carte , j’ai pu lire Yvan Lacassagne, plumes et duvets, place de la Patte d’Oie  Toulouse. J’étais ahurie. Ce n’est pas possible… quel âge a-t-il à peu près ?

-  Entre 40 et 45 ans , il est grand, brun"

C’était peut être lui.. Je lui ai écrit pour le remercier au nom de mon beau frère, lui demandant s’il n’était pas le fils de mon ancien professeur

-  Voyez comme le monde est petit m’a –t-il répondu, je suis en effet le fils de ce professeur. Mon père est mort, mais je suis content que vous ayez gardé un bon souvenir de lui.

Yvon Lacassagne était devenu l’un des plus gros commerçants de Toulouse. Son fils lui a succédé et il préside la Chambre de Commerce de Toulouse. Sa fille s’occupe aussi des expositions  commerciales.

Si tu ne le crois pas ma chère Béatrice , toi qui aimes les preuves, voilà cet article de presse que j’ai gardé. Encore l’an dernier, c’était son fils Jacques Lacassagne qui a ouvert la Grande foire de Toulouse  dont il est le Président Directeur général.

6 - La Petite fille dans le placard (Montech 1906 - 07)

A l’école de Montech où je dirigeais la 2eme classe (CM1 et CE2), il y avait une petite classe du Cours préparatoire. La maîtresse était ma grande amie et nos salles de classe se touchaient. Elle était patiente et aimait beaucoup ses petites élèves. Elle s’appelait Fernande Coustou. Une de ses élèves, Jeanne Richasse, 6 ans était très remuante, bavarde et taquine. Je la vois encore avec ses belles joues roses, son sourire malicieux, ses yeux rieurs, sa belle chevelure toute frisée. Elle allait souvent au piquet. ( debout contre le mur, le dos tourné). Un jour, elle tira si fort les cheveux de sa voisine Martine que celle-ci se mit à hurler. Fernande à bout de patience, la menaça de l’enfermer dans le placard.  Il faut vous dire que notre école, qui n’a pas changé depuis lors (1905)  était une ancienne maison bourgeoise. Les salons, la salle à manger étaient devenus des salles de classe. Celle des petits était l’ancien office c’est à dire la salle des provisions et il y avait de grands placards qu’on avait conservés et qui servaient de débarras (Il y avait des balais, de vieux livres, etc…) Ils étaient hauts et étroits  avec une place libre dans le bas. Donc, Fernande continue sa classe. Elle se retourne brusquement et voit Jeanne Richasse qui lui tirait la langue et faisait rire toutes ses compagnes.  C’était trop fort. Fernande prend la petite par le bras, la traîne dans le placard, pousse la targette. Il était à peu près 10 heures du matin et on sortait alors à 11 heures pour rentrer à 13 heures.  La classe se termine plus silencieuse et à 11 heures tout le monde sort. Personne n’a pensé à la petite fille enfermée dans le placard! À 13 heures, mon amie regarde la place vide et demande: “Tiens, Jeanne Richasse n’est pas là!”Mais mademoiselle, dit une petite fille, elle doit être encore dans le placard;” Fernande est devenue pâle et tremblante., elle a couru dans ma classe affolée: : “Marie venez vite me dit-elle, je vais m’évanouir.. J’ai enfermé Jeanne Richasse dans le placard à 10h30 et je l’y ai oubliée.. Il n’y a pas d’air là-dedans, elle est peut être morte , venez avec moi.” J’arrive toute troublée, je frappe à la porte, personne ne répond.. En tremblant, je pousse la targette et la porte s’ouvre…. Jeannette était assise au fond du placard, le dos au mur et elle se frottait les yeux.. Quelle joie! Quelle délivrance ! Elle s’était endormie tout simplement.

- "J’ai faim". C’était vrai qu’elle n’avait pas mangé. Les deux autres maîtresses sont arrivées, l’une lui a donné des gateaux, l’autre des bonbons, du lait, du chocolat. Ses compagnes étaient contentes de la revoir. C’était vraiment l’héroïne du jour. Le soir Fernande et moi nous l’avons ramenée chez ses parents qui lui ont fait promettre d’être plus sage à l’avenir. J’ai su qu’elle avait épousé plus tard à 20 ans le directeur de la papeterie de Montech et que tout le monde l’aimait bien.

7 La noce du cousin Eugene (Montech 1906-07)

Après ma sortie de l’École normale d’Agen, j’ai été nommée adjointe à l’école laïque de Montech. C’est un agréable chef lieu de canton, situé à 12 km de Montauban sur un embranchement du canal latéral à la Garonne.. Nous étions trois adjointes qui nous entendions très bien, mais la directrice était très sévère.. Mes parents habitaient de l’autre côté de Montauban, dans le petit village du Fau à 7 km de Montauban. Je me trouvai donc assez éloignée d’eux, à 20 kilomètres environ…

Mes enfants, cela vous fait sourire, mais c’était cependant assez compliqué: à Montech on pouvait prendre la diligence et son cheval nous conduisait à la gare de Montech où le train s’arrêtait à la gare de Montauban. Mais pour aller de Montauban au Fau, il fallait un cheval et une voiture. Mes parents en avaient, mais ils étaient si occupés.: l’épicerie, le café, le bureau de tabac et 3 hectares de terre à travailler. Je ne pouvais pas toujours leur demander de venir me chercher et je n’allais chez moi que pour les vacances d’assez longue durée.

Vous pensez avec quelle joie, j’ai vu arriver les premières bicyclettes et combien j’enviais les premiers jeunes gens qui ont eu le courage de s’aventurer sur ces engins! Parmi ceux-là il y avait mon cousin Jean Philibert, un cousin germain qui avait quatre ans de moins que moi, presque mon petit frère car mon oncle et ma tante étaient nos plus proches voisins et nous étions toujours ensemble dans notre enfance. Très gâté, il avait été un des premiers au village à posséder une bicyclette et il émerveillait tout le village par ses randonnées. Un jour il me dit:” Mais on fait maintenant des bicyclettes pour les femmes, tu devrais en acheter une, je t’enseignerai à y monter.” J’avais quelques économies, j’ai attendu quelques mois en me serrant la ceinture, me contentant d’oeufs et de sardines à l’huile le plus souvent; et aux grandes vacances, j’avais mon vélo.  Quelle joie de parcourir les routes, d’aller où l’on voulait, de respirer du bon air!  Pas d’auto biensûr, puisqu’elles n’existaient pas! Un cheval à l’horizon, on avait le temps de se garer! On se protégeait comme on pouvait de la pluie, du vent, des orages; on faisait quelques chutes, tant pis! Le mercredi soir, le samedi soir, avec mon amie Fernande qui habitait Montauban, nous partions. Je couchais souvent chez elle, au départ ou à l’arrivée et j’allais au Fau sur mon vélo, toute heureuse de revoir mon village, mes parents, mes deux soeurs, mes amis! Vous ne pouvez pas comprendre ce qu’a été pour nous, malgré souvent quelques petits ennuis, l’invention du vélo !

Nous avions des cousins qui habitaient à St Maffre, près de Bruniquel.  C’était une très jeune soeur de ma grand mère maternelle qui était allée vivre là comme “bordière” dans une propriété. Nous les aimions beaucoup et nous allions tous les ans à la fête de St-Maffre au mois de septembre. Mon oncle Michel avec mon père attelaient leur cheval. On  partait avant le jour, on arrivait pour se metre à table. Vous pensez, 30 km c’était très loin ! Ils avaient quatre garcons superbes plus âgés que moi, de l’âge de mes soeurs aînées. Les trois premiers s’étaient mariés pendant que j’étais en pension à Moissac ou à Agen, il ne restait que le dernier Eugène, qui s’était fiancé avec une jeune fille de La Bénéche près de Caussade à peu près à 28 km de Montauban. Ma tante Marguerite m’avait promis, celui-là nous le marierons un jeudi, comme celà tu pourras venir à la noce. “

Et en effet, un jour du mois de mai, je reçus de St-Maffre une invitation pour venir à la noce pour un jeudi du mois de mai, quinze jours après. Naturellement mon oncle, ma tante, mon cousin Jean étaient aussi de la noce. Le grand jour arriva; mes soeurs, mon grand père, mon oncle, et ma tante partirent en voiture; mes parents suivirent avec la notre. Mon cousin me dit: “Nous nous partons à vélo et nous arriverons avant eux. Bien sûr!” Nous nous étions donné rendez-vous à Montauban. Nous partons. Quelle joie! Comme il faisait bon! Les oiseaux chantaient dans les buissons tous blancs, les glycines répandaient leurs parfums depuis leurs belles grappes sous les chalets., les troupeaux de vaches paissaient dans les champs, la route était bien sèche, un peu de poussière, mais tant pis! Nous étions jeunes et beaux, mon cousin avait revêtu un beau costume neuf bleu marine, une belle cravatte, une chemise rose. Moi j’étais fière de mes souliers montants jaunes, sur mes bas blancs, de ma jupe beige, de mon corsage blanc et surtout de ma coiffure: une belle charlotte toute neuve en broderie anglaise blanche. Sur le côté un bouquet de fleurs des champs, marguerites et coquelicots avec un beau noeud de ruban  bleu. Nous étions superbes!

Sans encombre nous avons traversé Négrepelisse et Bioule et nous arrivons tout fiers à la ferme, avant la messe, pour saluer tout le monde et admirer la mariée dans sa belle toilette blanche. Nos parents sont arrivés une heure plus tard. Il y avait plus de 100 invités! Après la messe, nous nous sommes mis à table. Les tables étaient dressées dehors sous des tentes à cause du soleil qui était très chaud. Nous étions sur le “sol”, l’esplanade de terre battue où on battait le blé  en juillet.. Et tout autour on avait disposé des levées de terre qui devaient servir de sièges pour les danseurs d'un soir et les invités. Le repas fut long, comme vous pouvez le penser, rien n’y manquait, les bouillis, les rôtis de poulets, de pintades, les asperges, les petits pois et les croustades du pays délicieuses. Nous les jeunes, il nous tardait que ce fut fini pour nous dégourdir un peu les jambes.

Cependant, pendant que nous mangions, le ciel s’assombrissait et se couvrait de nuages, la chaleur était lourde, et, comme le soir venait, on sentait venir l’orage. Tout à coup, au moment où la danse allait commencer, un éclair zébra l’air, puis un autre, le tonnerre gronda et une averse diluvienne se mit à tomber. Quel désastre! En hâte sous la pluie, tout le monde rangea la vaisselle, les tentes plièrent sous le poids de l’eau, la nuit était venue, les grandes personnes qui n’avaient pas pu partir, se réfugièrent dans les granges, les étables, chez les voisins, les enfants entassés dans les lits libres de la ferme. Nous les jeunes, nous avons eu pour tout asile un petit hangard, grand comme une de nos chambres. Toute la nuit, il a plu; nous sommes restés là serrés comme des sardines dans une boîte, assis sur des chaises, sans pouvoir rien faire. Nous causions, nous dormions. Je me suis mise à chanter pour nous réveiller; deux de mes compagnons m’ont imités; tout y est passé: nos chants d’école et “Viens Poupoule”, le “Crédo du Paysan”, “Ma Normandie”, “Sous les Roses”, “J’ai tant pleuré pour toi”, “Frou-Frou”, et quand nous nous arrêtions quelqu’un criait “Ané, madoumaiselle, cantary né uneaoutro, aquo nous dérébeillera” Allons, mademoiselle, chantez en une autre, cela nous réveillera”.

Toute la nuit a passé ainsi. Les coqs ont chanté, c’était 5 heures. Alors j’ai dit à mes compagnons: “Il me faut 3 heures pour rentrer à Montech, je vous dis au revoir après la nuit charmante que nous avons passée ensemble". Ils étaient surpris. “Et pourquoi partez-vous? - C’est vendredi, à 8 heures, je dois être à l’école". Ils n’en revenaient pas. Un d’eux a porté mon vélo jusqu’à la route, il pleuvait encore un peu. Toute seule, je ne sais pas où était passé mon cousin. La route était boueuse, à tout moment je descendais de vélo et avec un bout de bois cueilli dans une trace, il fallait enlever la boue qui se logeait sous le garde-boue. Ma pauvre Charlotte ! les fleurs et le ruban bleu pendaient lamentablement et les dents de la broderie anglaise étaient de véritables gouttières. Cependant, je ne rencontrai personne et la route était toute à moi; je pédalai de toutes mes forces. Arrivée au village de Bioule, j’hésitais pour retrouver mon chemin. Je ne voyais personne à qui demander ma route et je me suis réfugiée sous le porche de l’église. Quelle joie ! Au dessus de moi, l’angélus du matin a sonné et le sonneur complaisant m’a indiqué mon chemin et m’a amené chez lui prendre une tasse de café. Je me suis sentie toute réconfortée et j’ai repris ma route sous la pluie qui s’arrêtait parfois, puis recommençait; je suis arrivée ainsi à Montauban. Là, j’ai pensé un instant prendre le train et rentrer avec la diligence de Montbartier. Mais en regardant ma tenue, ma coiffure, la boue qui couvrait mes bas et mes bottines, j’ai pensé que je pouvais rencontrer l’inspecteur dans le train.. et que penserait-il de moi et de la façon dont j’avais passé la nuit ? On ne plaisantait pas à cette époque sur la tenue des institutrices ! J’ai donc repris mon vélo. Encore 12 km et c’était Montech! J’étais fatiguée tout de même. Il ne pleuvait presque plus et j’allais doucement. En traversant la forêt j’ai entendu tout à coup “Eh! Mademoiselle, attention, vous allez verser dans le fossé, vous faites des S”, je sommeillais sur mon vélo et c’était le facteur de Lacourt-St-Pierre qui allait chercher le courier à Montech et qui m’avait reconnue. Nous avons fait la route ensemble.

8 heures sonnaient au clocher de l’église, quand je suis arrivée à l’école qui est en face. Sur le perron, la directrice, madame Médan, et ses deux adjointes en face de leurs élèves rangées, les miennes m’attendaient. J’ai pris ma place et tous les regards se sont tournés vers moi. J’étais fraîche avec ma charlotte parapluie, ma robe souillée, mes chaussures pleines de boue. La directrice m’a regardée et m’a dit: “Vous pouvez aller vous reposer Mademoiselle; pour cette matinée, on s’occupera de vos élèves”. Après l’avoir remerciée, je suis monté dans ma chambre me changer et me nettoyer, puis je me suis occupée de mon pauvre vélo.

Voilà mon aventure. Je n’ai pas égalé Bartoli, ni Fausto Copi, ni Poulidor mais c’est égal, pour moi ce fut un grand exploit et c’est un de mes plus chers souvenirs.

8 - Comment j’ai commencé à apprendre l’importance du téléphone. (Montech 1906-07)

Comme je l’ai dit souvent, j’ai été nommée adjointe à l’école des filles de Montech à ma sortie de l’École Normale d’Agen en 1905. Montech était à l’époque un chef lieu de canton très agréable, à 12 km de Montauban, au confluent de la branche du canal latéral de Montech à Montauban. J’aimais mon métier, mes élèves étaient gentilles et me donnaient beaucoup de satisfactions. Leurs parents travaillaient à la papeterie, alors florissante, ou bien ils étaient commerçants ou propriétaires des environs et la vie y paraissait facile et agréable.

J’avais aussi un autre avantage.. La soeur de mon père et son mari La Marietto et Lou Didou habitaient tout près de Montech, à 4km. Je les aimais beaucoup, ils étaient mon parrain et ma marraine. Elle, toujours en mouvement, petite et toute courbée, très active; lui, perclus de rhumatismes et marchant avec deux cannes, ayant bien marché et courru toute sa vie, servant de piqueur à ses patrons tout en travaillant leurs champs. Ils avaient élevé trois enfants: le dernier, Samuel Mathaly avait été nommé facteur à Caylus et il leur avait laissé sa maison à Lacourt St Pierre qui était assez agréable. Elle avait deux grandes pièces séparées par un couloir qui conduisait au chai et à l’écurie de leur petit cheval et de leur petit âne. Une belle vigne s’étendait de la maison au canal latéral, elle était coupée en son milieu par une belle allée bordée de cerisiers en plein rapport, des cerises napoléon.  Pendant les trois années passées à Montech, j’allais souvent chez eux le mercredi soir et le samedi soir et je rentrais le dimanche soir ou le jeudi soir, soit à pied soit avec le petit cheval conduit par mon oncle. Je corrigeais mes cahiers, je causais avec eux, je cuisinais avec ma tante. Quand il faisait beau, nous allions au bord du canal avec mon oncle, il était gai, malgré ses rhumatismes, il pêchait et il était content de rapporter le soir une bonne friture.

Au printemps, les cerisiers fleurirent, puis les petites cerises apparurent. Samuel nous écrivait quelquefois et ma tante disait: “Languissi d’el, perque l’a noummat ta lenc, per las peyros et lous rocs.” Je m’ennuie de lui, pourquoi l’a t on nommé si loin parmi les pierres et les rochers? – Mon oncle disait: ”Cal prendré patience, lou faran tourna pres prep”. Il faut prendre patience, on le fera venir ici une fois ou l’autre". Quand nos belles cerises murirent, sa femme Jenny robuste et vaillante venait quelquefois nous aider, en prenant la diligence et le train à Caussade, mais il fallait souvent nous en tirer seuls. Je cueillais les plus hautes et eux les plus faciles à atteindre. C’était très agréable.

Un samedi soir, j’arrive chez eux et je trouve ma tante radieuse. Elle me dit en riant:” Sabes! E poterlat a Samuel arvey – Yas parlat ! Es bengut a Montalba – Nou mes y parlat al taliphone -  Et coussi ai fach? 

( Tu sais, j’ai parlé à Samuel aujourd’hui- Et comment as-tu fait ? Il est venu à Montauban ? – Non, mais je lui ai parlé au téléphone – Ah oui ! et comment as-tu fait ?)

Alors elle m’a raconté. Elle était allée chez l’expéditeur se faire payer les cerises.. Elle lui a dit “Adissias Moussu” Mais le marchand causait et lui a fait signe d’attendre. Alors elle lui a dit: “Amé cal parlebès, Moussu, y abia pas digus.” (Avec qui parliez-vous, Monsieur, il n’y a personne ! – Je parlais au téléphone avec un client qui m’a vendu des cerises.)

-  Es aquo qu’appeloun lou taliphono ? “ ( C’est cela qu’on appelle le téléphone ?)

-  Eh oui !

-  Moun fil Samiel dish que l’an à Caylus, a la posto es fatou belou qu’es a la poste d’aquesto oura.” ( Mon fils Samuel dit qu’on l’a à Caylus, à la poste. Il est facteur, peut être qu’il est à la poste à cette heure.)

-  Vous voulez que je l’appelle ?

-  Oh! Méfayas pla plasé (Oh vous me feriez bien plaisir)

Et le Monsieur avait appelé Samuel, et Samuel lui a parlé:

-  Et adiou, mayré et coussi bas, as pla vendud las cireyos ? ( Adieu, mere. Comment vas-tu ? As-tu bien vendu les cerises ?)

Et il devait avoir deux jours de congé à la fin du mois.. Ce soir là il y avait de la joie dans la maisonette et on n’a parlé que du téléphone et de cette merveilleuse invention.. Biensûr nous avions étudié celà en physique, et le téléphone commençait à fonctionner dans les administrations, mais il y avait encore très peu de lignes et pour ma part, je n’avais jamais fait usage du téléphone. Dans les cas graves et urgents on envoyait un télégramme.

Tout en méditant sur les progrés de la technique, je me déchaussais au coin du feu car j’avais les pieds mouillés.  J’avais acheté depuis peu quelquechose de nouveau aussi… Devinez quoi ? Vous ne devinez pas.. Un corset avec des jarretelles. Vous pensez si celà était nouveau ! Ma tante Mariette, toujours curieuse me regardait faire.. Tout à coup: “Et qué fas aquiou ?” – Quetti lous débasseés. –Et as pas de cambaillos ? Nani etle des jarretelles. Aco ba milliou.”

Ahurie, elle se baisse, accroche mes jarretelles, les décroche, recommence: “Ah! Qu’aco es coumodé, qu’une inbentiou magnifico”

( Et que fais-tu là,? - j’enlève mes bas – Et tu n’as pas de jarretières ? – Non, j’ai des jarretelles, c’est mieux. – Ah que c’est commode ! Quelle invention merveilleuse !)

Alors me regardant bien en face, elle me dit avec le plus grand sérieux et d’un air grave: “Ehbé escouto, an imbentat lou taliphone qu’aco es quicon de pla curcous, mais aquelos jarretelles, aquo es bé tant curious.” ( Eh bien écoute, on a inventé le téléphone qui est quelquechose de très curieux, mais ces jarretelles c’est bien aussi merveilleux.)

Comparer l’invention du téléphone à celle  des jarretelles cela fait sourire… Bien après leur mort , je racontais celà à deux de ses petits enfants. Nous étions à Limoges pour l’héritage Mallet et c’est le directeur du Central téléphonique de Limoges qui nous avait reçus. Il venait d’Agen et comprenait l’occitan. Je vous assure qu’il a ri! Il a envoyé sa fille chercher un magnétophone et il en a fait une cassette. Il m’a dit: “Je vous invite à visiter le Central téléphonique, je vous y porterai demain matin. Et en voyant toutes ces manettes, tous ces boutons, toutes ces machines, j’ai pensé que nos braves petites jarretelles, pour si utiles qu’elles soient supportent bien mal la comparaison.

 

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30 mars 2011

L'ÉCOLE LAÎQUE DE MOISSAC 1922

CLASSE DE L'ÉCOLE DE MOISSAC

1922Simone_Lacord_Moissac03

Cliquer sur la photo pour l'agrandir, de bas en haut et de gauche à droite:

rang assis: X, Simone LACORD, X, X, X, X, X, X, X, X,

rang du milieu: X, X, X, X, X, X, X, X,

rang derrière: X, X, X, X, X, X, X.

 

 

 

 

30 mars 2011

CONSEILLÈRE PRESBYTÉRALE

MARIE LACORD, CONSEILLÈRE PRESBYTÉRALE DU FAU ET DE MONTAUBAN

61_OctobreCP_Fau_Montauban04

LE CONSEIL PRESBYTÉRAL DU FAU ET DE MONTAUBAN EN OCTOBRE 1961

 

LA PETITE ASSEMBLÉE DU FAU EN ÉTÉ

65Aout_Temple_Fau04 

LE 8 AOÛT 1965

30 mars 2011

ROBERT LACORD

ROBERT LACORD

Robert_Lacord05

Cliché MASSIP, Allées Lafayettes Toulouse

 

30 mars 2011

PORTRAIT 1917

MARIE LACORD EN 1917

1917Marie_Lacord02

Cliché J. Brunerie - Toulouse

MARIE S'ÉTAIT MARIÉE EN 1910 À ROBERT LACORD

29 mars 2011

CLASSES DE MARIE LACORD AU CARREYRAT

TROIS CLASSES DE MARIE LACORD À L'ÉCOLE DU CARREYRAT

ANNÉE 1941

41Carreyrat05

cliquer sur la photo pour l'agrandir et indiquer les noms dans les commentaires en précisant les noms et les places dans le rang comme ci-dessous de gauche à droite et de bas en haut

rang 1 assis: X, X, X, X, X, X, X, X,

rang 2 à genoux: X, X, X, X, X, X, X, X, X, X, X,

rang 3 debouts: X, X, X, X, X, X, X, X, X, X,

rang 4 derrière: Marie LACORD, X, X, X, X, X, X, X, X, X.

 

AUTRE ANNÉE ?

Carreyrat02

Cliché L. BENARD, phot. Montauban; cliquer sur la photo pour l'agrandir: indiquer les noms dans les commentaires en les situant de gauche à droite et de bas en haut

rang 1 assis: X, X, X, X, X, X, X, X;

rang 2 debout: X, X, X, X, X, X, X, X, X:

rang 3 derrière: X, X, X.

 

AUTRE ANNÉE ?

Carreyrat01

Cliché L. BENARD, phot. Montauban; cliquer sur la photo pour l'agrandir et indiquer les noms dans les commentaires en précisant les rangs et les places dans le rang comme ci-dessous de gauche à droite et de bas en haut

rang 1 assis: X, X, X, X, X, X, X, X,

rang 2 debouts: X, X, X, X, X, X, X, X, X, X, X,

rang 3 debouts: X, X, X, X, X, X, X, X, X,

rang 4 derrière:  X, X, X, X, X, X.

Si vous reconnaissez un visage, merci d'indiquer son nom dans les commentaires.

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